L’œuf de Christophe Colomb déroute. Les inventions nous surprennent, nous dérangent même. Le créatif, l’artiste, l’inventeur est un perturbateur. Il est aussi le découvreur de futurs. Il donne au monde qui l’entoure la possibilité d’évoluer selon plusieurs propositions, le plus souvent subjectives, mais qui le satisfont. Ses apports inventifs seront d’abord des émanations de son identité, de ses émotions, de ses motivations et de sa curiosité. Je veux un meilleur confort, je ne veux plus avoir peur, la maison doit être mieux isolée. Voilà la nécessité ! Comment faire ? Là commence un territoire inconnu où le hasard prend sa place. On découvre sans le vouloir un trésor d’imagination qui se traduit par une percée qui peut être conséquente. L’or dissout dans le plomb grâce au mercure, découverte qui n’était que la conséquence du désir de faire la suprême découverte : transformer les métaux en or par la transmutation. Découvertes précédées de multiples expérimentations mais surtout de rencontres improbables. En 1959, Karl Popper, jeune auteur autrichien, sort un ouvrage « The Logic of Scientific Discovery » qui sera rapidement rendu célèbre par ses initiales : LSD. Il défendra l’idée que pour que la science et les innovations avancent, il faut accepter que, comme dans l’art, la science comprenne une part d’irrationnel. Il aura sans doute été entendu car nous voyons les hypothèses les plus audacieuses sortir des laboratoires les plus sérieux. Actuellement certains physiciens se posent la question de savoir « si l’univers existe réellement ». Il y a quelques années un telle démarche les auraient amenés, sinon dans un asile, au moins à la porte de tous les établissements qui les emploient. L’audace de la spéculation rejoint, en matière de traitement des idées, une démarche sensiblement similaire à celle d’un entrepreneur… risques certains et récompenses incertaines ! Il y a donc bien un saut quantique pour l’audacieux. Il deviendra plus tard passerelle pour les suiveurs. Ce saut n’est pas à la portée de tous, surtout si la crainte des changements et des idées originales s’est installée dans l’entreprise. Créer, oui, mais dans bien des cas, on doit admettre que l’on joue aux dés. Dans l’intimité des dirigeants, j’ai souvent été frappé de découvrir la part importante de la chance autant que de leur audace à modifier l’ordre des choses. Sans doute avaient-ils, comme l’artiste, l’intuition du contexte favorable, du bon moment. Le succès de Linux tient au fait qu’il a été lancé dans une forte communauté de développeurs en informatique ayant de nombreuses ramifications dans les universités. Le terrain était propice, fertile pour ce projet. De multiples tentatives similaires n’ont jamais réussi. Le succès de Linux masque le fait que des milliers d’autres idées du même genre n’ont jamais percé parce que les conditions de leurs émergences n’étaient pas bonnes. Regardez, le succès de Wikipédia, cette encyclopédie collective est désormais incontournable. Pourquoi un tel succès alors que le projet Nupedia n’a jamais décollé? Je ne crois pas, contrairement à Don Tapscott[1], que l’on puisse parler de « surgissement intentionnel ». Je préfère parler d’opportunités, d’heureux hasards, de rencontres improbables. Dieu est un joueur de dés et l’homme, à son image, invente des mondes, comme le décrit si bien Jérôme Monod dans son livre « Hasard et nécessité »[2]. L’histoire du Pos-it de 3M que je ne me lasse pas de raconter en est un exemple tout à fait édifiant. Ce qui est nouveau, c’est le rôle désormais des réseaux de doper ces rencontres improbables d’où jaillira la créativité de quelques uns et qui fera du hasard… nécessité ! De ce point de vue, Internet n’est pas qu’un lien technique, il est le Lien social pour comprendre et inventer collectivement le Monde en le transformant. Pour un innovateur, utiliser les effets de rendement croissant des réseaux pour « contaminer » rapidement un maximum d’acteurs avec leurs graines d’idées est la solution idéale. Les spécialistes du marketing utilisent le procédé sous le vocable de « marketing viral ». Mais le fait d’avoir « l’intention » d’utiliser l’effet réseau pour obtenir la mobilisation ou l’intérêt des acteurs potentiels n’apporte aucune garantie que l’on obtienne ce que je désignais sous le terme « d’effet d’avalanche » dans l’Entreprise Virtuelle. Voilà, l’effet réseau existe, mais … il faut accepter l’idée selon laquelle être dans un réseau c’est disposer de billets de loterie. Pas forcément le numéro gagnant ! Cette composition et recomposition permanente des rencontres, souvent éphémères, ne suit pas une logique linéaire bien visible et ordonnée. Par contre on sait que cette capacité à accepter les liens de partenariats et les relais sociaux «du réseau du petit monde» devient un facteur crucial de succès. Aussi, lorsque l’on note l’absentéisme de certains chefs d’entreprises dans les réunions professionnelles, on comprend qu’isolés et sachant le rester, ils soient moins compétitifs que ceux qui multiplient et soignent leurs relations d’affaires, y compris maintenant dans les réseaux électroniques. Dans le modèle« stochastique » des rencontres aléatoires propres aux frottements de l’économie immatérielle, il existe des incertitudes. L’apprentissage et le tâtonnement sont le fait d’une curiosité permanente que connaît bien l’artiste qui sommeille en nous. Il ne sait pas encore ce qu’il va concrètement tirer de ses balades sur les réseaux. Mais il sait qu’un jour où l’autre il touchera les interlocuteurs avec qui faire avancer ses idées. L’histoire des sciences et des techniques est pleine d’histoire de rencontres improbables qui ont débouché sur des inventions et des concepts originaux et parfois révolutionnaires. Comme l’artiste, le chef d’entreprise doit comprendre que la créativité, l’innovation ici, dépendent d’une probabilité qui lui sera d’autant plus favorable qu’il multipliera ses contacts et qu’il acceptera une réelle liberté des échanges en se préoccupant moins de ce qui est dit et plus de ce qu’il récolte.
[1] Voir « Capital Réseaux » (Village Mondial 2001)
[2] . Monod, Le hasard et la nécessité. Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne, Seuil, 1970
Au tout début des années 1970, Spencer Silver travaillait dans les laboratoires de recherche de la société 3M. Par hasard, il mit au point un type de colle aux propriétés particulières : elle n’adhérait que très peu et ne laissait aucun résidu. Personne ne sut quoi faire de cette colle, mais Silver décida de la garder dans un coin et d’en parler autour de lui, au cas où quelqu’un lui trouverait une application. Quelques années plus tard, en 1974, un collègue de Silver, Arthur Fry, se trouva embêté avec son livre de chant à l’église. En effet, le marque-page qu’il utilisait n’arrêtait pas de tomber. Il pensa donc à la colle inutile mise au point par son collègue, en appliqua sur un morceau de papier et s’en servit comme marque-page, qu’il pouvait enlever et déplacer à souhait sans abîmer son livre de cantiques. Rapidement, Fry se rendit compte que son invention pouvait avoir des applications bien plus diverses que celle de simples marque-page : c’était bel et bien un nouveau moyen de communication ! La société 3M déposa la marque « Post-It » et la commercialisa dès la fin des années 1970. C’est aujourd’hui l’un des équipements de bureau les plus utilisés au monde.
http://www.linternaute.com/science/invention/inventions/461/post-it.shtml