De plus en plus d’entreprises considèrent que leurs revenus seront issus d’une démarche d’innovation féconde. Les opérateurs n’en feront pas l’économie. Voilà qui donne matière à comparer les stratégies de firmes fortement dépendantes d’une différenciation par l’innovation. C’est le cas entre des opérateurs aussi différents que France Télécom et Free. Habituellement, on considère les organisations en situation de monopole comme faiblement innovantes[1]. Classiquement un monopole en position dominante bénéficie d’une barrière d’entrée qui permet de vendre au dessus d’un prix concurrentiel et de se constituer ainsi une rente. Les « maîtres des réseaux » ne le pourront plus vraiment.

Si un opérateur se contente de monter ses prix, les comparateurs auront tôt fait de le repérer et les clients le délaisseront progressivement. Le petit jeu de la complexification des tarifs afin de semer la confusion ne dure qu’un temps. En fait, en matière d’offre de prix, les opérateurs se marquent la culotte afin de rester dans la course. Pourtant, certains opérateurs ont su prendre des parts de marchés significatives. Dans tous les cas, ils le doivent à l’originalité de l’offre et aux innovations proposées aux clients. Dans la guerre concurrentielle en cours on s’aperçoit que le succès d’une firme dépend plus de sa notoriété en matière d’innovation que de sa politique de tarification. Les opérateurs historiques sont déstabilisés par des entrants qui offrent des solutions alternatives et innovantes. La crainte de perdre des revenus, compte tenu des effets d’avalanche spécifique à la Netéconomie, incite les grands groupes à maintenir un haut niveau de R&D. Aussi en revenons-nous à la même antienne : seule l’innovation permet de constituer un levier de différenciation économique. Levier qui est bien utile pour déstabiliser un concurrent plus important comme aura su le faire « Free » face à des opérateurs déjà bien installés. En d’autres termes, les seules barrières d’entrée de la grille de Porter[2] qui fonctionnent efficacement sont des brevets qui limitent les marges de manœuvre de nouveaux entrants ou…  qui au contraire sont capables de déstabiliser des sociétés qui se sont endormies sur leur marché. Un avantage peut être tiré d’un positionnement gagé sur une ou plusieurs normes techniques verrouillant un compétiteur (voir l’exemple avec la norme HDHI des lecteurs haute définition). L’ensemble des droits de propriété industrielle forment une vraie barrière stratégique pour tenir la concurrence à distance. 124066535914Mais, est ce suffisant ?  Face aux annonces de Cisco, de Vérizon et encore récemment celle de Free, on peut s’interroger de savoir pourquoi les services de la R&D de France Télécom semblent en détresse constante face à ses concurrents alors que son budget est un des plus importants d’Europe !? Pourtant la puissance potentielle du réseau des Orange Labs , qui regroupe plus de 5000 collaborateurs dont 3000 ingénieurs et chercheurs, est considérable. Pourquoi l’enfant putatif de la DGT (Direction Générale des Télécoms) et du CNET, organisme célèbre dans le monde entier pour ses innovations, n’apparait plus qu’épisodiquement dans l’actualité de la R&D ? La principale défaillance de la stratégie actuelle de France Télécom ne serait elle pas de sous estimer la puissance de la communication autour de sa politique d’innovation pour se démarquer auprès de ses clientèles, ce que font mieux ses concurrents. L’histoire de la vie industrielle est pleine de récits d’innovations remarquables, mais mal vendues, les ingénieurs de France Télécom feraient bien de ne pas l’oublier.


[1] Selon les travaux d’Arrow  (1992) et de Gilbert et Newberry (1982)

[2] Le modèle des 5 forces de Porter a été élaboré par l’économiste Michael Porter en 1979. Ce modèle synthétise les facteurs influant la performance d’une entreprise par cinq forces : * le pouvoir de négociations des clients ; * la menace de nouveaux entrants sur le marché ; * le pouvoir de négociations des fournisseurs ; * les produits de substitution ; * la concurrence intra sectorielle.

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A propos de l'auteur

Denis

Denis Ettighoffer, fana de science-fiction, auteur de « L’entreprise virtuelle », le livre qui l’a fait connaître en 1992 est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Ses contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels sont nombreuses. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Son parcours atypique aura forgé chez lui une pensée singulière. Son dernier livre, « Netbrain, planète numérique, les batailles des Nations savantes » (Dunod) a reçu le prix du livre du Club de l’Economie Numérique en 2008. Denis Ettighoffer un temps Membre correspondant de l’Académie de l’Intelligence économique collabore désormais avec l’équipe d’IDEFFIE (Développement de l’expertise française et francophone à l’international et en Europe ) .

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