La cyber-entreprise personnelle, fer de lance de la création d’emplois nouveaux. Ils retouchent vos photos, vous élaborent un petit film d’animation numérique, vous proposent des chapeaux sur mesure, mettent de la musique sur votre site web personnel, vous conseillent pour choisir le prêt le moins coûteux. Ils vous réalisent des albums de photos ou ils écrivent votre vie. Ils testent votre micro-ordinateur à distance, estiment la valeur de votre appartement ou vous donne des informations très pointues sur un sujet qui est d’importance pour votre activité. Ils ! ? : Quelques uns des 4 millions de postulants qui veulent créer eux même leur emploi selon l’Agence Pour la Création d’Entreprises. Sur quatre entreprises créées, deux le sont dans les services, la troisième dans le commerce. Une tertiarisation croissante qui reflète bien la percée des services de matière grise alors que les cyber-consommateurs font plutôt partie des catégories socioprofessionnelles favorisées. La part des indépendants est avec 56% la plus importante dans les secteurs du commerce et des services113. Le nombre de cyber-commerçants sur Internet a cru de 324% en 1998 et il devrait augmenter, selon IDC Européen Survey cité dans le rapport Lorentz, de 290%. Et encore ne s’agit-il que des chiffres des commerces traditionnels.ebg1 La multiplicité des cyberentrepreneurs restera, selon toute vraisemblance, cachée des statistiques officielles. Bruno Merle, scénariste, est retourné dans la maison de son enfance dans le Vaucluse pour exercer son métier à distance. Rémy Poinot, photographe indépendant, a installé dans sa cave suffisamment d’outils multimédia pour être plus performant, plus réactif qu’une agence traditionnelle. Jean-Marie Lantran, ingénieur des Ponts et Chaussées à la retraite continue des missions partout dans le monde à partir de son domicile. Patrick Tchouhadian a branché son atelier de joaillerie sur un PC qui l’aide à modéliser des dizaines de projets et de maquettes. Un jour sans doute il fera comme certains diamantaires d’Anvers et il se branchera sur le Net, comme l’on fait Nathalie et Fabien Valmary lorsqu’ils ont relancé leur fabrique de chemises Noiraude près de Carcassonne. La mise en place de leur site sur Internet pour la vente des chemises sur mesures a dépassé le cadre hexagonal et représente quelque 10% de leur chiffre d’affaires et surtout des marges améliorées. Serge Simon l’a bien compris en investissant sur son site en 1996, qui offre aujourd’hui un service de livraison international qui fonctionne 24 heures sur 24 grâce à des accords avec des chaînes de fleuristes en prélevant une commission d’intermédiaire au passage. Jean Michel Page pour sa part propose ses services de traduction en russe, chinois, anglais et allemand par le canal du forum Usenet sur le télétravail. Maître Saragousi, huissier de justice, est devenu un spécialiste de la recherche de plagiat dans le cyberespace. Travailleur indépendant, Jean-Christophe Manuceau, 29 ans en créant dans sa chambre, offre pour 69 fr. de rechercher sur Internet la réponse à la question qui lui est posée. Son client la trouvera deux jours plus tard dans sa messagerie. Tous ces cyberentrepreneurs, tous ces « networkers« , ces travailleurs du Net, s’assument et créent des services nouveaux et de la richesse. Ne reproduisons plus l’erreur des « petits boulots » ! Pour ceux qui se lancent dans des activités à distance, pour ces télécollaborateurs occasionnels, Internet n’est pas forcement l’eldorado. Mais pour eux tous, Internet est une façon de gagner leur vie ou un supplément d’argent, d’y trouver des débouchés supplémentaires, sans forcement devenir riche, sans créer forcement une grande entreprise.

Le développement de ces services en ligne est l’occasion de créer des emplois nouveaux. Même s’il faut être prudent sur les chiffres de notre première enquête, notons que presque la moitié de ces aventures personnelles ont abouti à de la création d’emplois. En d’autres temps, des représentants auraient vendu des assurances, aujourd’hui ils ont changé de spécialité pour devenir des courtiers en communication : ils vendent des services de « home communication ». Autre exemple, l’explosion des besoins de livraisons de type Express s’est traduite par 76 milliards de paquets transportés pour l’Amérique du Nord. On prévoit un chiffre d’affaires de 10 milliards de dollars en l’an 2000 et cette croissance générera par contrecoup la multiplication d’emplois de courtiers en transport et de livreurs[1].

Les retombées des micro-activités en ligne ne sont pas encore suffisamment connues, sinon par quelques spécialistes qui s’intéressent à l’outil Internet pour mettre en place des plates-formes de gestion et de commercialisation multiservices de proximité. Il reste à créer une catégorie d’Entreprises A Domicile (EAD) et de micro-activités en ligne statistiquement visibles. Nous manquons de fichiers ciblés afin d’identifier les entrepreneurs à domicile, les professions libérales, les travailleurs indépendants, les responsables d’entreprises unipersonnelles, maintenant les cyberentrepreneurs(es), leurs caractéristiques ainsi que l’impact de leurs activités sur l’emploi. Les déclarations de sites devraient être intégrées dans les procédures classiques de création d’entreprises à guichet unique avec copie pour les organismes intéressés comme la Cnil. Aujourd’hui la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés ne récupère pas 1% des sites français installés notamment ceux, les plus nombreux, délocalisés aux USA. Nous proposons la création un observatoire des « TPE », des très petites entreprises et des entreprises familiales sur Internet. D’y inclure une veille sur leur utilisation d’Internet pour faire des affaires, créer de la richesse et des emplois. Puis de faire en sorte que les résultats de ces veilles soient mis à la disposition du public afin d’encourager les initiatives personnelles. Ce site pourrait par ailleurs fournir des informations spécialisées sur les activités des cyberentrepreneurs et leurs recherches de collaboration. (Nous apprenons le lancement cet été 2002 du premier observatoire des solos).

Les networkers sont entreprenants et indépendants. Au Québec, 52% des créations de nouveaux emplois sont le fait de travailleurs indépendants dont le nombre croissant est dû pour une large part aux opportunités nouvelles offertes par les services en ligne et le travail à distance. Ils sont des networkers, une génération de nouveaux entrants, plutôt jeunes et férus de nouvelles technologies, aussi à l’aise avec leurs applications que nous l’étions pour gonfler le moteur de nos « deudeuches » dans les années 60. Ils sont les nouveaux citoyens du web. Ils sont à l’aise avec les ordinateurs et les outils de la modernité et ils comptent bien s’en servir comme atout dans leur vie professionnelle. Les networkers se distinguent de l’ensemble des français par leur attitude vis à vis de la société. En effet, le degré d’utilisation des nouveaux outils, que sont les micros ordinateurs et les réseaux comme Internet, structure leur comportement aussi sûrement que le niveau de revenus ou l’appartenance politique. Tout d’abord les superconnectés sont massivement favorables au libéralisme économique. L’ouverture au monde, la curiosité, le souci de se remettre en cause et de se confronter avec des opinions différentes sont d’autres traits de leur caractère. Leurs attitudes : massivement pro-européens, dubitatifs face aux partis, démocrates dans l’âme, plutôt réticents à voter, militants de l’économie de marché, favorables à la mondialisation, opposés à la pression fiscale, prêts à gagner moins pour vivre mieux, disposés à s’expatrier, attachés au parapluie social (sécu) mais désireux d’investir en bourse, actifs et lucides face aux médias, distants face à la religion, dévoreurs de livres, prudents devant la science, favorables à l’apprentissage de l’esprit critique, majoritairement optimistes, se sentant responsables d’eux-mêmes et de leur avenir. Bref, le cybernaute entrepreneur est un indépendant, un créateur de son propre job, un international qui privilégie coopération et flexibilité afin de rendre son affaire plus rentable. Il n’est pas forcément, contrairement à ce que l’on pourrait croire un peu vite, un spécialiste des ordinateurs et des réseaux électroniques. Jean-Luc Matau s’est pris de passion pour le web après la vente de son hôtel dans les années 90. Il a « commencé à réfléchir sur l’opportunité d’entreprendre une activité en rapport avec son expérience professionnelle et son désir d’indépendance ». Après une période d’autoformation et de lectures assidues d’ouvrages sur le Net, il lance « Appart in France », site spécialisé dans la location de meublés et la location temporaire. Le site ne possède pas au départ de base de données ni de système de paiement sécurisé mais ils sont prévus dès que le site aura atteint un certain degré de maturité. Le site reçoit de nombreuses demandes de la part d’étrangers. Fort de l’expérience de création d’Appart in France7, J-L Matau vient de signer un premier contrat de réalisation d’un site de présentation des hôtels affiliés pour une chaîne hôtelière italienne. Grâce à ce contrat, J-L Mateau peut créer son 2ème site, Alba-Net, dédié à l’activité de création et d’hébergement. « Ce site, il fallait l’héberger. Je me suis arrêté sur une solution au Canada où les services et les tarifs sont plus compétitifs qu’en France. Seul inconvénient : les temps de connexion peuvent être longs. Pour améliorer le graphisme, je vais faire appel à des travailleurs indépendants. Maintenant l’embauche d’un commercial intermittent serait l’idéal ».

boutique en ligneLe commerce électronique tire les applications Internet un peu partout dans le monde y compris dans les pays en voie de développement. Le commerce électronique destiné aux particuliers sera multiplié par près de 4 d’ici à 2002 et celui entre entreprises par 10, dépassant les 200 milliards de $. Les entreprises n’auront pas le choix dans la plupart des cas, elles devront travailler à l’international. Déjà, l’espace francophone ou francophile recouvre environ 500 millions de personnes avec qui il est possible de faire des affaires. Les cybercommerçants ou les cyberentrepreneurs comprennent vite que les cyberconsommateurs ne sont plus dans un espace réduit à l’hexagone. Ils y ont intérêt car leur hexagone est encore un peu frileux en ce qui concerne la maîtrise de la télévie, du « télébusiness ». Selon une récente enquête du Crédoc, 62% des Français se sentent peu ou pas du tout attirés par les produits comportant une innovation technologique. Quand on voit la débauche d’inventivité et de recherche, aux Etats-Unis, dans des produits et services qui facilitent la vie et le business sur Internet, faut-il craindre que la frilosité des Français face à l’innovation ne les prédisposent pas à se comporter en conquérants sur les marchés ouverts par Internet ? Nous ne le croyons pas. Nous constatons qu’en dehors de l’agitation médiatique, qui fait désormais l’ordinaire de la société de l’information, une minorité agissante d’entrepreneurs fait entrer la France dans le troisième millénaire. Par contre nous savons que cette minorité se sent bien seule parfois.

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[1] Un phénomène qui n’a pas échappé à la sagacité de Denis Payre, qui après avoir créé Business Objects a lancé Kayla. Note 2011 de l’auteur

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A propos de l'auteur

Denis

Denis Ettighoffer, fana de science-fiction, auteur de « L’entreprise virtuelle », le livre qui l’a fait connaître en 1992 est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Ses contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels sont nombreuses. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Son parcours atypique aura forgé chez lui une pensée singulière. Son dernier livre, « Netbrain, planète numérique, les batailles des Nations savantes » (Dunod) a reçu le prix du livre du Club de l’Economie Numérique en 2008. Denis Ettighoffer un temps Membre correspondant de l’Académie de l’Intelligence économique collabore désormais avec l’équipe d’IDEFFIE (Développement de l’expertise française et francophone à l’international et en Europe ) .

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