Cela n’aura pas échappé aux lecteurs et professionnels intéressés, l’acteur américain Bruce Willis envisagerait de porter plainte contre iTunes. Il aurait réalisé que l’importante bibliothèque de morceaux de musique qu’il avait téléchargé depuis des années à partir de la plate-forme d’Apple ne lui appartenait pas et ne pouvait être léguée à ses proches. L’histoire n’aurait pas fait grand bruit si elle avait concerné un simple citoyen. Bien que l’acteur ait démenti, elle donne à beaucoup de spécialistes du droit l’occasion de revenir sur un sujet qui me tient à cœur depuis bien longtemps. Au passage, je précise que je milite volontiers pour le droit d’usage opposable au droit de propriété… oui, mais point trop n’en faut !
Le conflit supposé entre Bruce Willis et la plate-forme d’iTunes met le doigt sur un vrai problème, emblématique de l’ambigüité entre le droit d’usage et le droit de propriété. La transformation des biens tangibles en biens numériques aura bouleversé les modèles économiques et facilité de nouvelles formes de commerce et de mode de distribution. Encore faudrait-il ne pas confondre « mode de distribution » et « mode de commercialisation » !
Si j’achète un opéra de Verdi par téléchargement qui sera enregistré sur mon ordinateur, puis gravé sur un CD sur un DVD, au lieu d’aller le chercher dans une boutique de la FNAC, j’ai simplement utilisé un nouveau mode de distribution. Dans ce cas, le « contrat » entre le vendeur et le consommateur reste traditionnel. Je peux utiliser mon droit patrimonial et offrir ou transmettre ce droit à mes propres ayants droits ou le « revendre » à un tiers[1]. Maintenant, si je télécharge ce même opéra pour l’écouter ou le regarder selon des conditions fixées par la plateforme du fournisseur, je suis encore dans un mode de distribution en ligne mais le « contrat commercial » n’est plus le même. Ma transaction spécifie que je n’ai que le droit d’usage pour l’écoute du morceau de musique ou le visionnage du film commandé. En d’autres termes, si le mode de distribution en ligne reste le même, le contrat commercial change et spécifie un simple droit d’usage. Ce droit d’usage d’écoute est personnalisé, non transmissible. Ces serveurs spécialisés proposent le téléchargement du bien numérique avec sa licence « du droit d’usage » en échange d’un paiement qui n’autorise ni la duplication, ni l’enregistrement en vue d’une revente ou d’une transmission à des tiers.
Si vous êtes surpris à enregistrer par des procédés déloyaux donc à transformer ce droit d’usage en droit patrimonial, vous pouvez alors être considéré comme un délinquant. C’est toute la question que soulève l’affaire associée au nom de Bruce Willis : la confusion possible entre droit d’usage et droit patrimonial engendré par un mode de distribution nouveau mais à des conditions commerciales pas très claires. Cette confusion est entretenue par l’ambigüité des conditions de vente de iTunes et d’autres plateformes qui n’insistent guère sur le fait qu’elles se contentent de commercialiser la « licence » d’écouter le morceau choisi : une licence personnelle et prescriptible. Vu le nombre de plateformes de téléchargement qui fonctionnent dans cette ambigüité, cela peut être source de confusion d’autant plus trompeuse pour le public que les prix entre les deux formules ne sont pas très différents. On peut donc souhaiter que cette différence dans le « contrat » de vente soit plus visible sur les propositions des sites et, pourquoi pas, qu’il soit proposé lors de l’achat de choisir l’une ou l’autre des formules. Ainsi l’acheteur saurait clairement faire son choix pour, selon son humeur et ses goûts, se procurer soit le simple droit de licence, soit celui de propriété.
Le législateur devrait se pencher sur cette situation de marchés captifs à l’origine de positions dominantes généralement peu propice à une saine concurrence. A défaut, on conseillera vivement aux admirateurs des Pink Floyd et autres auteurs de passer plus de temps dans les magasins de DVD mais aussi dans les librairies, car les livres achetés chez Amazone sous forme numérique sont frappés de la même interdiction de transmission à des tiers. Sinon, pour vos achats de vos CD ou DVD et bouquins d’occasions, apprenez à connaitre les services en ligne de vente de seconde main qui contournent le problème. Quoi qu’il en soit, les juridictions européennes devront un jour ou l’autre se mettre d’accord sur le problème des droits de transmission et de revente des biens numériques mais aussi statuer sur les conditions de revente de seconde main en ligne qui spolient les auteurs. Nous y reviendrons prochainement.
[1] Notons au passage cette aberration où les ayants droits (d’auteur) ne sont pas pris en compte dans les transactions secondaires.