L’Europe en construction, œuvre de réconciliation entre pays relativement semblables, reste un espace de concurrence féroce jouant notamment sur les différences des modèles fiscaux. Un phénomène bien connu des européens lorsqu’ils comparent le prix respectif des voitures dans les pays de la communauté, prix parfois très différents notamment à cause des taux de TVA. De la même manière que la politique fiscale tend à attirer les investissements, certains pays attirent ainsi les demandes solvables des services en ligne chez eux comme l’ont fait les Irlandais dans les années 80 et 90.

Ces pays détaxent et offrent des défiscalisations sur les investissements liées aux télécommunications pour accéder à bon compte à leurs services ou bases de données. En Europe, l’Estonie est un autre bon exemple du rôle d’une politique fiscale compétitive inspirée par les thèses de Milton Friedman[1]. Ce pays a décidé de défiscaliser les revenus des personnes et des entreprises qui seraient réinvestis dans l’économie numérique. L’Estonie a aussi multiplié les initiatives afin de favoriser l’e.administration (ce qui réduit les coûts de fonctionnement de l’Etat) au point que des réunions ministérielles sont traitées en ligne[2]. Puis le gouvernement estonien a encouragé les coopérations entre universités et entreprises afin de faciliter les créations d’emplois au point que le taux de chômage est tombé à 4,9% de la population contre 14% fin des années 90. La Macédoine, après la Slovaquie, lui emboîte le pas. Cette compétition fiscale devient un facteur clé de l’attractivité d’implantation. En Amérique centrale, le Costa Rica (quatre millions d’habitants) est l’emblème d’une région qui s’empare des technologies de l’information et de la communication pour s’assurer une nouvelle place dans l’économie mondiale. Cette république a attiré des millions de dollars d’investissements par une politique fiscale agressive, inspirée de celle de l’Irlande.

elearningDevenu le premier pays exportateur de logiciels de l’Amérique latine et spécialisé dans les équipements de santé, le Costa Rica suit un autre exemple, celui de Singapour qui investit massivement dans ses universités afin d’attirer les étudiants asiatiques avec l’objectif de gagner entre deux et quatre points de croissance supplémentaires. L’Australie fait de même en investissant dans les activités de téléformation. Les montants en jeu sont de taille. Dès 2002, le montant des ventes sur Internet dépassait celui de la vente par correspondance par voie postale soit 4% du PNB français. Si l’on se focalise maintenant sur la formation, elle pèse mille milliards de dollars dans les pays de l’OCDE et devient un enjeu majeur pour les nations. La formation est définitivement entrée dans l’espace marchand. Elle représente le quatrième poste d’exportation des Etats-Unis et, mieux encore, son chiffre d’affaires prévisionnel à dix ans sera supérieur à l’industrie des loisirs. Les services de formation en ligne représentent un gisement économique considérable alors qu’un étudiant sur cinq reçoit déjà une part substantielle de sa formation par Internet[3]. Plus préoccupant encore, le déficit de nos offres de formation engendre une migration négative de notre matière grise, de nos talents. Selon une étude de l’OCDE et de l’UNESCO entre les années 1960 et les années 1990, les universités anglo-saxonnes ont attiré un flux migratoire d’élèves européens qui est passé de 245 000 à 1 178 00[4].

N’en doutons pas. La place de la France dans les compétitions entre nations savantes sera liée à sa capacité à soutenir l’investissement dans la formation, gage d’une meilleure qualité de vie pour nos enfants et d’une R&D plus dynamique. Pour de multiples raisons que je ne développerai pas ici, mais qui tendent à favoriser une minorité d’individus et à limiter la mobilité sociale, le taux d’accès à l’enseignement supérieur reste médiocre en France[5]. Notre nation dépense 4,7% de son PIB pour son enseignement, soit presque deux fois plus que tous les autres pays (entre 2% pour le Japon et 3% maximum pour les Etats-Unis) et porte à 8% la totalité de son engagement dans la formation et la R&D. Sur ce plan, la France est champion mondial ! Les choses se gâtent lorsque l’on observe la portion congrue qui revient à l’enseignement supérieur avec 1,1% du PIB soit le plus faible par rapport à l’Angleterre, la Japon, l’Allemagne ou les Etats-Unis. Pour augmenter sa capacité de financements supplémentaires, la France doit devenir un pays fiscalement attractif pour les investissements dédiés à la formation, au financement d’écoles et d’universités privés. Pour limiter l’expatriation de ses talents, pour tirer le meilleur parti de l’économie des connaissances tout en faisant appel à l’investissement privé, la France doit devenir un vrai paradis fiscal pour les investissements immatériels. Pour faire face à une compétition qui obligera certaines nations à reconsidérer leur modèle économique, il ne suffit pas de réduire l’impôt sur les sociétés comme cela a été proposé par le rapport sur l’économie immatérielle remis à Thierry Breton. Nous ne ferions que revenir péniblement sans doute dans la moyenne des sociétés européennes. Cela n’est pas suffisamment discriminant. Il nous faut envisager une modification substantielle de la fiscalité spécifique aux investissements immatériels des ménages afin d’avantager celles des organisations et entreprises impliquées dans des activités de formation et de prestations d’enseignement en ligne. Il est quand même « fort de café » de constater que si l’on investit dans un voilier dans les territoires d’outre-mer ont bénéficie d’avantages fiscaux. Il en sera de même pour les intérêts de l’achat d’un bien immobilier ou encore pour financer un emploi de services à la personne. Alors, pourquoi ne pas aider les familles françaises, dont certaines se saignent malgré des revenus modestes, afin de soutenir l’avenir de leurs enfants dès lors qu’elles investissent dans leur formation supérieure. Ce qui, indirectement, revient à soutenir le bon développement de grandes écoles mais aussi la mise en place de services de formation à distance. Un objectif qui me paraît tout aussi important que de soutenir le secteur du bâtiment. Une fiscalité semblable à celle des emplois de services à la personne qui réduit de moitié les dépenses engagées me semble possible, me semble en tous cas devoir être étudiée. Nous avons manqué l’occasion lors des débats sur les 35 heures, d’imposer que le capital temps soit obligatoirement dédié à la formation continue[6]. Louperons-nous encore l’occasion de préparer notre nation à son entrée dans l’économie immatérielle, l’économie des savoirs !?  La défiscalisation partielle des dépenses des familles dans la formation supérieure de leur enfant doit s’inscrire dans la politique budgétaire d’une nation qui a compris les nouveaux enjeux de l’économie immatérielle.

Denis Ettighoffer

Savez-vous quel est le plus gros annonceur américain sur la Toile aux Etats-Unis? L’University of Phoenix Online avec 27 millions de dollars d’investissements publicitaires pour le mois de janvier 2008 et 215 millions de dollars pour l’année 2007. Cela fait bientôt dix ans qu’University of Phoenix Online squatte les premières places des classements de la publicité en ligne. En 2000, une large campagne de publicité, à la télévision (CNN, MSNBC, Discovery Channel), sur Internet et en marketing direct (87 millions de dollars annuels). Résultat : + 86,5% de croissance des inscriptions en moins d’un an. Un an plus tard, en 2001, 25.700 étudiants sont inscrits en e-learning, et 70.000 aux cours traditionnels. La moyenne d’âge des étudiants dépasse 30 ans.  Aujourd’hui, University of Phoenix est la plus grande université privée américaine. Créée en 1976, elle possède 250 campus et centres d’enseignement à travers les Etats-Unis. Elle emploie 12.500 enseignants pour ses programmes de e-learning, dont la plupart travaillent à temps partiel, beaucoup pour arrondir leurs fins de mois.

Source : http://www.journaldunet.com/ebusiness/publicite/actualite/surprise-le-plus-gros-annonceur-americain-est-une-universite.shtml

 


[1] Friedman s’oppose à la doctrine Keynésienne qui prône l’investissement de l’Etat pour remédier au sous investissement en lui préférant la maîtrise de la masse monétaire, c’est à dire de la consommation. Une opposition sans grand fondement car les deux politiques ont leur vertu propre. Pour plus d’information http://www.liberaux.org/wiki/index.php?title=Milton_Friedman et http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2006-11-30-Milton-Friedman

[2] On compte en Estonie plus de 700 points d’accès publics à Internet (www.regio.delfi.ee/ipunktid), à quoi s’ajoutent plusieurs centaines de zones d’accès sans fil (www.wifi.ee) dans les hôtels, pubs, bibliothèques, stations-services, parcs et jardins publics, etc. Dans beaucoup de ces zones, l’accès à Internet est gratuit.

[3] Selon le Sloan Consortium, en 2006, 3,5 millions d’étudiants américains ont suivi des cours en ligne.

[4] Foreign Students in Higher Education comparative Statistical data ( Section of statistics on Education – STE 11 Paris 1993)

[5] Voir l’excellent livre de Claude Allègre « Toute vérité est bonne à dire » Fayard & Laffont 2000

[6] Voir le « Syndrome de Chronos » et du » Mal travailler au Mal vivre » Editions d’Organisation et Dunod. Du même auteur.

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A propos de l'auteur

Denis

Denis Ettighoffer, fana de science-fiction, auteur de « L’entreprise virtuelle », le livre qui l’a fait connaître en 1992 est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Ses contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels sont nombreuses. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Son parcours atypique aura forgé chez lui une pensée singulière. Son dernier livre, « Netbrain, planète numérique, les batailles des Nations savantes » (Dunod) a reçu le prix du livre du Club de l’Economie Numérique en 2008. Denis Ettighoffer un temps Membre correspondant de l’Académie de l’Intelligence économique collabore désormais avec l’équipe d’IDEFFIE (Développement de l’expertise française et francophone à l’international et en Europe ) .

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