Le vice-président Al Gore vient de résumer l’époque nouvelle dans laquelle se trouve notre économie : « pratiquement n’importe qui, muni d’une idée géniale peut s’établir à son compte et devenir la boutique du coin pour la planète entière. […] Ce phénomène promet de déclencher une révolution de l’esprit d’entreprise et de l’innovation, une avalanche de nouveaux produits et services que nous pouvons à peine imaginer ».
En modifiant fondamentalement la nature même de l’économie, du commerce et du marketing, le Web permet de rendre solvables des services impensables autrefois et à tout individu de devenir un producteur de services en ligne. La distribution électronique est en train de vivre sa propre révolution avec l’irruption de millions d’invités inattendus : les micro-entreprises individuelles et familiales. Le monde de la toile, d’Internet, se remplit de cyber-routards qui viennent y faire la manche, de petites entreprises qui découvrent qu’il leur est possible de créer une multinationale individuelle, d’individus qui fourmillent d’idées et tentent d’y faire fortune, de familles qui y trouvent des compléments de revenus ou, plus simplement, un excellent prétexte pour courir le monde virtuel en attendant de le faire « pour de vrai » !
L’ouvrage, « ebusiness Generation« , est le fruit d’une enquête réalisée avec le soutien de la Caisse des Dépôts et Consignations. Il annonce un pont prometteur entre le monde du travail et celui de la création de services en ligne. Le post-salariat, la polyactivité et la précarité économique croissante favorisent l’entreprenariat familial et notamment le développement de micro-services en ligne proposés aux personnes et aux entreprises. Un phénomène encouragé et facilité par la possibilité de fournir économiquement, grâce aux réseaux électroniques, une bonne partie de ces services sur des niches très pointues. Comme pour le « business to business » où les entreprises échangent des services dans des univers professionnels en général homogènes, ces affaires se développent dans des communautés virtuelles, entre des gens qui se font confiance, partagent langues et valeurs. Communautés qui achètent autant qu’elles échangent.
Le phénomène des micro-services en ligne se développe rapidement partout dans le monde. Déjà une famille américaine sur quatre tente l’aventure du « small ou home business ». En 1998, le monde des internautes comprend 210 millions d’habitants. Un nombre d’internautes qui aura été pratiquement multiplié par dix entre 1995 et 1999, et qui, dans moins de dix ans, représentera l’équivalent de la population des États-Unis et de l’Europe. Le Net est en train de devenir, parfois au désespoir de ses inventeurs, le lieu du commerce international le plus fréquenté, le plus âpre aux gains. Le marché virtuel devient l’agora pour la vente de toutes les audaces mais aussi de tout ce que le monde est capable d’inventer dans le sordide. Poètes et auteurs de thèses savantes s’abstenir, ici on court pour vous inciter à dépenser votre bon argent. Money! Money! est sans doute l’expression la plus utilisée sur le Net. L’opportunisme est la règle. On essaie, ça marche ou ça ne marche pas. Pas de problème, on essaiera avec autre chose. Ces entreprises à « durée limitée » doivent être rapidement rentables. Ici, il ne s’agit pas de VPC électronique, mais de la façon la plus astucieuse pour gagner un peu d’argent grâce à une activité en ligne. L’enjeu pour le monde du travail est majeur. Selon une étude parrainée par le Centre d’étude sur les Impôts, 78% des emplois créés aux Etats-Unis de 1977 à 1990 l’ont été par des entreprises familiales.
La France qui a déjà un déficit considérable en matière de services, acceptera-t-elle de désacraliser le salariat, de faciliter la migration entre les différents statuts du travailleur (salariés, travailleurs indépendants, commerçants, etc.) et d’instrumentaliser la création d’entreprise afin de favoriser la création de leur propre emploi par les créateurs d’entreprises ? La France peut-elle faire partie de l’élite marchande du cyberespace alors qu’elle reste empêtrée dans de vieux réflexes pénalisant les empêcheurs d' »hexagoner » en rond ?
NOTES:
(1) Formule reprise du travail de Kevin Kelly, rédacteur en chef de Wired à San Francisco, dans son livre « New Rules for the New Economy ».
(2) Revue « Itinéris et Vous » de France Télécoms Mobiles, décembre 1998.
La Lettre d’Eurotechnopolis Institut Nº 14 – Avril 1999 Denis Ettighoffer