Contrairement au climat défaitiste de ces derniers mois, la Netéconomie se porte bien. Les sévères restructurations des modèles économiques du e.business ne devraient surprendre personne. Il n’était pas difficile d’observer durant ces deux dernières années que la capitalisation boursière des start-up des « netcompanies » pesait plus que le montant de leurs chiffres d’affaires et moins que leurs déficits cumulés. Leurs valeurs étaient très spéculatives : un petit porteur gardait les titres classiques environ trente mois en moyenne contre six jours pour des actions comme celles d’Amazon.com. Nombre de ces sociétés reposant entièrement sur Internet, souffrant de faiblesses logistiques, de crédibilité opérationnelle et n’offrant que de faibles avantages distinctifs a subit de graves déconvenues, qui s’en étonne ?! La concurrence entre modèles économiques s’exacerbe. Il s’agit de trouver le modèle qui tue. A l’heure de la vitesse internet, le processus schumpétérien création/destruction s’accélère pour les netentreprises. Les valeurs sûres que sont les entreprises disposant déjà d’un fond de commerce et de réelles compétences pour procéder au virage de la netéconomie sont les mieux à même de tirer leur épingle du jeu. Les modèles économiques faiblement différenciés se sont fait rattraper par des résultats inconsistants. Plus des deux tiers des lancements actuels sont obligés de revoir leur copie et leurs stratégies : une bonne majorité n’y résistera pas. Mais que les rieurs se calment, ce sera vrai aussi des entreprises traditionnelles qui n’auront pas su s’adapter.
Les travaux du « Center for Research in Electronic Commerce » (CREC) de l’Université du Texas à Austin démontrent que la netéconomie, même en crise, ne se porte pas si mal. Aux Etats-Unis, trois millions de salariés sont directement impliqués dans la netéconomie. A la mi-2000, les entreprises lancées dans la netéconomie ont crée 600 000 nouveaux emplois et un chiffre d’affaires de 830 milliards de dollars, soit une croissance de 58% par rapport à la période précédente. La phase actuelle de solidification de la netéconomie se traduit soit par la fusion soit par la disparition de quelques milliers de cyber-entreprises dont les modèles n’ont pas résisté aux réalités des marchés. Malgré les conséquences désastreuses de certains échecs, malgré l’éclatement de la bulle spéculative des actions de certains grands noms, ce sont moins de 10% des effectifs qui seront concernés par la restructuration en cours de la netéconomie aux USA. Le grand spectacle qui nous a été donné ces derniers mois par la netéconomie masque le fait que « les gros poissons ne dirigent pas la mare ». L’étude réalisée par le CREC en 1999 montrait que les dix premières entreprises ne représentaient que 27% des revenus [2]. Comme dans le reste de l’économie, les grandes entreprises jouent certes un rôle, mais la plus grande part de la croissance économique et de la création d’emplois provient des PME. Aussi l’implication croissante des petites entreprises dans la netéconomie est un premier gage qu’elle reste, en dehors de son caractère uniquement spéculatif, une valeur sûre.
Les déficiences actuelles d’acteurs en vue de la netéconomie n’affectent en rien les fondamentaux de la création de richesse qui se sont mis en place. Après 25 ans de récession, nous sommes entrés dans un contexte économique florissant, garantissant une croissance durable de l’économie mondiale dont profitera tout particulièrement l’Europe dans la décennie à venir [3]. Cette croissance est essentiellement due aux mécanismes bien connus des échanges qui explosent bénéficiant du double avantage de leur dématérialisation croissante et de l’effet « plug and play » d’Internet. Mais cette croissance n’est pas due au développement du commerce électronique (ou VPC électronique entre entreprises et vers les particuliers). Il n’apporte qu’une contribution marginale à l’économie estimée à moins de 2% pour les deux dernières années [4]. En réalité, la Netéconomie est tirée par la progression des gains de productivité et d’efficacité globale entre les acteurs économiques. Grâce aux télécommunications l’économie traditionnelle bénéficie d’une formidable baisse des coûts de transactions qui favorise la diminution de la taille des organisations et facilite les échanges entre elles. La netéconomie permet d’une part de formidables gains de productivité collectifs [5] et offre d’autre part la possibilité de faire des affaires et d’innover dans des produits et des services en ligne à plusieurs partenaires [6]. Nous entrons dans une économie collaborative entre communautés professionnelles pouvant inclure les clients afin de gagner en efficacité. Ce qui donne lieu à une inventivité croissante dans les modes d’organisations interentreprises (co-production, co-développement, co-commercialisation) pour dégager de la valeur en limitant les investissements lourds, l’immobilisation des stocks (y compris du stock travail) et les frais fixes. Il ne faut pas chercher ailleurs les raisons de la forte croissance des pays engagés dans le siècle de l’économie en réseau.
Dans les dix années à venir, de l’Asie à l’Afrique en passant par les pays d’Amérique du Sud, tous ceux qui ont compris le rôle des télécommunications dans le développement économique durable vont se « brancher » sur Internet. Plus d’un milliard de personnes et des millions d’entreprises seront en ligne sur Internet avant la fin de cette décennie. En parallèle, nous assistons à une formidable croissance de grappes d’entreprises qui s’allient entre-elles pour améliorer leur productivité et la création de valeur conjuguée : les méta-organisations. Ces méta-organisations s’appuient sur les partenariats pour leur développement en pratiquant une politique de subsidiarité des différents maillons de leur chaîne de la valeur. Résultat, la croissance économique due aux développements des applications des intranets et des extranets professionnels sera supérieure à celle du commerce électronique. Aussi, on ne saurait confondre les déboires de la Bourse et les tendances de fond de l’économie réelle qu’est devenue la netéconomie – qui va bien, merci.
La Lettre d’Eurotechnopolis Institut Nº 21 – Mai 2001 Denis Ettighoffer
[2] : Voir « Measuring the Internet Economy », June 6, 2000)
[3] : Voir les données du Centre de Prévision N°89 de l’Expansion de janvier 2000
[4] : « Votre Entreprise et l’e.commerce », Expansion Management Review de décembre 99, par Pierre Emmanuel Beau, Jean Bourdariat, Gérard Martin et Xavier Metz.
[5] : Les gains de productivité sur des transactions peuvent dépasser 1000%. Notons aussi la hausse historique de 5% de la productivité américaine au quatrième trimestre 99 et de 2,9% sur l’ensemble de l’année.
[6] : On voit ainsi Egg.com, banque anglaise en ligne, gagner 500 000 clients en six mois en 1999 grâce à du co-branding avec différents partenaires assureurs, voyagistes, etc…