Avec la découverte, en 1953, de la structure de l’ADN par James Watson et Francis Crick, les hommes ont pris conscience que les molécules synthétisées en laboratoire se reproduisaient, se disputaient les ressources de leur milieu et s’associaient pour se défendre contre des intrus. 

Lors d’expérimentations, une équipe du MIT observa que les molécules se répliquaient et épousaient les formes de la molécule la plus proche afin de favoriser des échanges chimiques (la productivité des interfaces) qui pouvaient être très rapides (quelques millionièmes de secondes). Les molécules simples formaient des groupes très complexes dont on devinait la logique cachée en fonction de leurs affinités chimiques et électriques plus ou moins fortes. Cette logique tendait à stabiliser l’ensemble. Le fait d’interposer dans cet ensemble de molécules un corps n’ayant pas d’affinité conduisait à l’éviction du corps étranger en même temps qu’à un renforcement des liaisons covalentes entre les molécules les plus proches. En d’autres termes, elles renforçaient leur unité face à un corps incompatible. La suite des expériences confirma que les molécules pouvaient non seulement s’associer mais aussi se compléter, comme si chacune se spécialisait : l’ensemble devenait complémentaire. Il pouvait donc lui-même s’associer avec d’autres ensembles ou molécules. Par ailleurs, ces ensembles peuvent faire des copies, des réplications d’eux-mêmes, à cette particularité près que ces réplications consommaient moins d’énergie. Seulement voilà, la réplication à l’identique, si elle consomme moins d’énergie, a pour effet d’empêcher l’organisation primitive d’évoluer ; elle perd toute capacité à s’adapter. Comme dans les entreprises, plus un système tend à être ordonné et bureaucratique, plus il tend vers sa mort. Il fallait donc trouver des ensembles ou une solution qui rendraient l’organisation capable de se rénover. Afin d’engager un processus capable d’évoluer dans le temps, Julius Rubek inventa avec ses confrères du MIT des molécules chimiques capables de faire des erreurs. Il s’agissait d’une molécule « dissidente ». Il se passa alors un phénomène tout à fait intéressant. Certaines des nouvelles molécules issues de ces mutations devinrent concurrentes des souches d’origine. Elles se répliquèrent mieux en consommant à leur profit toute l’énergie disponible, puis se mirent à se recombiner pour produire des molécules encore nouvelles. Recombinaisons qui étaient plus ou moins fertiles selon le milieu (la soupe originelle… ou le contexte socio-économique) et l’auto compatibilité des molécules de synthèse. La chimie avait donné le début d’un sens compréhensible à l’organisation du vivant… mais également à l’organisation de l’entreprise. Organisation qui balance en permanence entre la résistance au changement en voulant rester identique pour minimiser sa consommation d’énergie – au risque de ne pas pouvoir évoluer – et le besoin de se renouveler suite aux transformations du milieu, en dépensant parfois beaucoup d’énergie – au risque d’en périr dans les deux cas. Dans nos entreprises, le dissident n’est jamais que celui qui sent les attentes nouvelles des marchés, qui écoute les personnels et tente de valoriser leurs idées. Les personnels sont prêts à suggérer, à proposer des innovations organisationnelles parfois majeures. Certaines compagnies qui l’ont compris avant d’autres multiplient les groupes de réflexion prospectifs. Réflexions qui ont une vertu pédagogique considérable pour les parties prenantes. Au lieu de réagir à des situations de crises elles favorisent l’anticipation aux changements à prévoir. Elles y trouvent des espaces apaisés de discussions et d’échanges, y compris dans des forums installés sur les intranets maisons. Les groupes de progrès trouvent là un horizon ambitieux en se fixant pour objectifs d’imaginer en permanence le futur. Les entreprises bénéficient des bonnes idées de « dissidents » qui ont le don de déceler, avant tout le monde, les signaux faibles des changements à venir, donc à prévoir.

Septembre 2004 Denis Ettighoffer

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A propos de l'auteur

Denis

Denis Ettighoffer, fana de science-fiction, auteur de « L’entreprise virtuelle », le livre qui l’a fait connaître en 1992 est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Ses contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels sont nombreuses. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Son parcours atypique aura forgé chez lui une pensée singulière. Son dernier livre, « Netbrain, planète numérique, les batailles des Nations savantes » (Dunod) a reçu le prix du livre du Club de l’Economie Numérique en 2008. Denis Ettighoffer un temps Membre correspondant de l’Académie de l’Intelligence économique collabore désormais avec l’équipe d’IDEFFIE (Développement de l’expertise française et francophone à l’international et en Europe ) .

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