En mars dernier, l’explosion et l’incendie qui a suivi sur la barge usine du port d’El-Dekheila en Egypte auront été un drame affreux. Elles auront coûté la mort à 228 personnes et blessé 2583 autres en même temps que la disparition d’un outil industriel de grande valeur pour le pays. Le spectacle de désolation du site portuaire montre la puissance d’une déflagration qui a tout dévasté. Outre le personnel qui a payé un prix élevé à la catastrophe, beaucoup de blessés l’on été par l’éclatement des bais et vitres sur des centaines de mètres. Les effets de la pollution se font encore sentir un mois après la destruction de cette usine chimique qui, selon nombre d’observateurs, était trop proche des installations portuaires.

L’émotion soulevée par la catastrophe d’El-Dekheila a eu un retentissement international que les syndicats comptent utiliser pour imposer une limitation des usines mobiles. Depuis des années ils se battent afin d’empêcher la dissémination de ces usines mobiles, flottantes, qui migrent au gré du prix des matières premières, des coûts de la main d’œuvre ou encore des taxes frappant leurs activités. Navire atelier, navire hôpital, navire baleinier aménagé pour l’exploitation en mer de la pêche, les unités flottantes ne sont pas bien nouvelles, c’est plutôt l’étendue de leurs applications dans les créneaux les plus divers qui interpelle tout comme les craintes qu’elles suscitent parfois. Certains pays ont interdit les navires usines qui sur-pêchent leurs ressources marines, d’autres tentent de le faire pour les nouvelles usines flottantes apatrides du secteur textile. Ces dernières fabriquent durant la traversée afin de gagner encore en coût. A la colère des syndicats qui y voient une façon de détaxer le chiffre d’affaires et de ne pas offrir aux salariés, devenus marins malgré eux, ni les garanties, ni les couvertures sociales les plus élémentaires. Bien évidement ces modifications de l’organisation industrielle, bien qu’ayant des impacts mineurs sur les écosystèmes industriels, font l’objet de tous les fantasmes et notamment sur le thème toujours réinventé de la délocalisation des emplois et des richesses, compris les projets de villes flottantes installées dans les eaux internationales pour échapper au fisc !

L’idée de production mobile n’est pas récente. Les anciens se souviennent de l’installation de bouilleurs de crus qui se déplaçaient de village en village pour distiller les plantes pour les remèdes, les parfums de lavande, les résidus des vendanges pour en tirer des alcools utiles aux familles. Ils ont disparu. Tout comme les moulins flottants dans le bassin de la Garonne car ils mettaient la navigation en danger. N’oublions pas que les établissements métallurgiques anciens tiraient leur énergie de  l’eau. Mais d’autres raisons amènent à l’utilisation de centres sidérurgiques en milieu marin. Le Japon, pays dépourvu de matières premières, a construit dans les années 60 des usines sidérurgiques sur l’eau au fond de baies protégées accessibles aux grands minéraliers. Une organisation due à la volonté de raccourcir la chaîne logistique et donc les coûts de production, une idée qui reste d’actualité. Ainsi, en 2014, les américains ont envoyé un navire embarquant deux usines spécialisées afin de détruire les armes chimiques syriennes. Des installations portables capables de neutraliser les composants dangereux du gaz moutarde en limitant leurs déplacements toujours dangereux. Une intervention certainement plus utile que celle Colin L. Powell, en Secrétaire d’État des États-Unis sous la présidence de George W. Bush qui, en 2003, inventa avant l’’heure des usines de production mobiles d’armes biologiques en Irak, croquis à l’appui pour être plus persuasif. La US Army reste en pointe sur ces sujets en équipant ses unités combattantes d’ateliers mobiles équipés afin qu’ils puissent fabriquer des pièces de rechanges, armes et munitions comprises, sans oublier les drones de terrain bien sûr[1]. Une démarche suivie par les pompiers du monde entier qui se sont procurés progressivement de véritables unités d’intervention polyvalentes afin de faire face à toute une gamme de périls en milieu urbain.

Dans la très grande majorité des cas, ces installations mobiles sont d’abord une réponse pratique à des demandes des marchés locaux. Ainsi, on a vu l’Angola commander la fabrication d’une usine flottante de traitement de déchets qui a été confiée aux chantiers navals de St Nazaire, devenus une référence en France. Des barges associées à l’unité de production vont ensuite déverser en mer, au large, les déchets traités et neutralisés. Livrées « clé en main », ces usines mobiles ne sont pas que flottantes. En mer ou au sol, elles trouvent de multiple applications comme pour la transformation des fruits au Nigeria, en Ouganda mais aussi au Royaume Uni ou comme au Québec dans la transformation des résidus de pêche. L’agriculture a depuis longtemps l’habitude de ces énormes engins qui, le temps d’une saison, effectuent les travaux les plus variés. Depuis de longues années, progressivement des entreprises européennes ce sont installées sur se créneau désormais très porteur. Les usines à béton mobiles de la firme canadienne BMH sont connues dans le monde entier. N’oublions pas non plus les gigantesques tonneliers véritables usines mobiles comprenant tout le nécessaire à leur autonomie opérationnelle : transformateurs électriques, vérins hydrauliques qui servent à la poussée et convoyeurs à bande qui assurent le déchargement des déblais et le chargement des bennes.

Depuis les années 20, les projets d’usines flottantes sont devenus des réalisations appréciées à l’exemple des usines de gaz naturel liquéfié de la firme Exxon Mobil. Ces installations très compactes, au plus près des gisements, évitent des emprises au sol pénalisantes et surtout peuvent s’installer dans des régions côtières mal équipées car elles sont autos suffisantes. A l’époque, Air Liquide avait lancé un concours d’architecture pour ses usines de production d’oxygène liquide. Plusieurs écoles européennes ont soumis des projets dont des usines modulaires et mobiles. L’idée de petites usines implantées au plus près de leurs marchés n’est pas vraiment nouvelle. Déjà à la fin du siècle dernier, l’entreprise Michelin avait décidé de multiplier un réseau international de petites unités de production de pneumatiques. Plus récemment l’impératif de mobilité aura boosté, les réalisations d’unités transportables, notamment par la mer. Ainsi, des usines de traitement de l’eau souillée ou de dessalement de l’eau mer, ont été mises au point en France et se déplacent au gré des urgences humanitaires alors que d’autres ont été installées à demeure sur les côtes africaines, à Singapour et près de certaines îles du Pacifique. Aussi, qui s’étonnera de savoir que les premières plateformes marines de récupération de l’énergie hydraulique seront mises en place courant 2060 ? Ces plateformes de la taille d’un terrain de football, peuvent être installées un peu partout et fixées dans les courants marins afin de faire tourner des hydroliennes qui alimenteront les cités côtières intéressées. L’importance des économies de logistique, de mise en œuvre et d’entretien  est telle que les capacités des usines de Géocéan qui c’est lancé sur ce créneau sont déjà saturées par la demande. Mais la plus spectaculaires de ces initiatives aura été celle de la firme Dubois-Déchiron. Elle lance ces jours ci sa troisième usine volante de transformation de bois. Ce dirigeable, véritable « Leviathan » des airs, conçu avec la compagnie britannique Hybrid Air Vehicles (HAV) atteint une centaine de mètres de long. Il emporte des nacelles de vie et d’exploitation qui peuvent se poser sur des terrains difficiles. Une partie des installations sont fixées au sol pour travailler et transformer sur place des grumes de bois. Le dirigeable est ensuite capable selon la production de faire des allers-retours par la voie des airs entre le chantier et les ports d’embarquements ou routiers pour amener les bois déjà débités. L’autonomie de plusieurs semaines de ce cargo des airs lui permet d’être utilisé dans des contrées loin de sa base. Cette usine volante aura permis de réduire les chutes de bois non exploitables et donc le coût des transports des produits semi finis. En contre partie, il devient plus facile pour les autorités locales de gérer les parcelles des bois exploitées afin de préserver les ressources forestières. De conception moins compliquée qu’un avion, le Léviathan de la firme Hybrid Air Vehicles a déjà reçu plusieurs commandes du Brésil, de la Malaisie, de la Russie et du Canada pour faciliter l’exploitation de leurs massifs forestiers. Hybrid Air Vehicles (HAV) pense qu’il y a un marché pour écouler entre 600 et 1000 Léviathan dans le monde. Mais la concurrence s’organise, de nombreuses compagnies propose leurs projets d’usines volantes en kit. Lockheed Martin’s Hybrid Air Vehicle, a transformé une version civile de son projet de dirigeables de transport de troupes pour la mise à disposition d’hôpitaux de campagne dans des zones de catastrophes naturelles.

Les usines mobiles d’aujourd’hui destinées à exploiter ou à explorer les ressources les plus diverses étaient depuis bien longtemps dans les cartons des innovateurs. Elles sont aujourd’hui au centre d’une polémique lancée par ce dramatique accident d’El-Dekheila. Pourtant nos lecteurs ne doivent pas oublier que cet accident, si épouvantable soit-il, est le premier du genre depuis plus de trente ans. Dans la balance, malgré notre émotion, il nous faut mettre le savoir-faire acquis par les différentes entreprises mondiales en matière d’unités mobiles depuis longtemps. Il aura été précieux pour achever la conception des premières usines automatiques qui sont installées sur Mars. Malgré les difficultés des premières missions, les unités installées de production de nuages à effet de serre tournent maintenant à plein. Sur place, elles transforment, par combustion, les minéraux présents dans le sol, en gaz à effet de serre tout en libérant dans l’atmosphère martienne, composée majoritairement de dioxyde de carbone (CO2), du fréon d’une efficacité redoutable pour réchauffer une planète.

N’oublions pas de citer la croissance spectaculaire des usines digitales ou labs numériques qui ont contribué, eux aussi, à la mutation de notre tissu industriel traditionnel. Le télétravail coopératif sur des programmes et des traitements sophistiqués de données pour des développeurs, à partir de lieux différents, est désormais bien entré dans les pratiques de la production des biens numériques. Les mini fabs, usines de fabrication 3D dans des domaines aussi différents que des os artificiels ou des modèles personnalisés de bijoux, ont favorisé la création de véritables usines miniatures. Ces mini-fabs souvent très spécialisés, se comptent en dizaine de milliers, disséminés un peu partout dans des boutiques de quartiers de nos villes. En moins de 40 ans, l’idée que l’on se faisait de l’industrie aura été bouleversée par l’émergence de solutions remettant en question notre vision des outils de notre ré-industrialisation.  Malgré le drame d’El Dekheila, les usines mobiles font et feront désormais parti de ce paysage industriel.

Pour en savoir plus:  http://transit-city.blogspot.fr/

[1] http://en.wikipedia.org/wiki/Rapid_Equipping_Force http://www.webpronews.com/the-army-deploys-3d-printers-to-afghanistan-2012-08 et 10 avr. 2014

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A propos de l'auteur

Denis

Denis Ettighoffer, fana de science-fiction, auteur de « L’entreprise virtuelle », le livre qui l’a fait connaître en 1992 est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Ses contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels sont nombreuses. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Son parcours atypique aura forgé chez lui une pensée singulière. Son dernier livre, « Netbrain, planète numérique, les batailles des Nations savantes » (Dunod) a reçu le prix du livre du Club de l’Economie Numérique en 2008. Denis Ettighoffer un temps Membre correspondant de l’Académie de l’Intelligence économique collabore désormais avec l’équipe d’IDEFFIE (Développement de l’expertise française et francophone à l’international et en Europe ) .

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