Désolé, la Terre n’est pas plate, elle n’est pas non plus « made in Asia », elle est numérique ! Avec l’entrée dans l’économie de la connaissance et la digitalisation de toutes choses, nous vivons la constitution d’un monde numérique qui devient un acteur politique, social et économique majeur. Une cyber-puissance est née ! On y observe des taux de croissance époustouflants et uniques dans l’histoire. Un milliard de personnes peuvent déjà y échanger leurs connaissances, établir des contacts sociaux. Ces migrants d’un nouveau genre vont devenir rapidement une force collective d’influence sans précédent. Pour la première fois dans l’histoire humaine, la coopération massive d’individus de toutes origines à travers le temps et l’espace est soudainement facile et économique. Il y a un changement fondamental dans l’histoire des rapports de pouvoir. Nous sommes à l’orée d’un grand cycle économique prédit par l’économiste russe Nicolaï Kondratieff. Pour lui, notre cycle actuel serait celui d’une période « gestionnaire » qui suit, celle « stratégique », des années 1940-1992[1].
Un nouveau cycle « éco-efficient » prend le relais des cycles de croissance traditionnels. Nos systèmes ne vont pas continuer à croître ou à se relancer vigoureusement, en dehors de situations locales spécifiques, ils vont s’optimiser, globalement. Pour le profane, l’analogie est simple. Nous cessons d’utiliser des voitures gloutonnes tout en continuant d’améliorer leurs performances et leur confort. Inscrites dans un cycle du développement durable, nos économies vont faire en sorte d’utiliser mieux les ressources existantes. Ce cycle est caractérisé par d’intenses investissements dans les technologies de l’information et de la communication afin d’optimiser les consommations de ressources. Le capital se concentre sur certaines industries plutôt que sur d’autres afin de produire de nouvelles richesses (En grande partie immatérielles, cette fois !), ce qui va déstabiliser les modèles socioéconomiques en place et engendrer de fortes tensions sociales. On y est ! Horreur économique et sociale. La France voit son industrie s’effriter emportant dans une lente récession des millions d’emplois. La France ne crée pas assez de valeur et donc d’emplois dans les nouveaux secteurs d’activités. Notre nation court le risque de passer à côté, de ne pas tirer profit d’une mutation économique en cours dont elle est partie prenante. Une mutation qui s’inscrit dans les changements en profondeur et durables de l’économie mondiale : le développement de l’économie immatérielle et de ses objets numériques.
En 1986, le fameux rapport du MIT (Massachusset Institut of Technology) intitulé « Made In America » sur les défaillances de l’Amérique en matière de développement technologique a eu un intense retentissement sur la classe dirigeante du pays[2]. Dans le rapport du MIT le pouvoir exécutif américain était accusé de ne pas savoir gérer la technologie et la R&D face à la déferlante des produits et des innovations japonaises. Le constat mettait en évidence la mauvaise organisation structurelle de l’Etat américain pour promouvoir la technologie du pays. A l’époque, la question n’était pas de savoir si l’Amérique était en déclin en matière de connaissances. Elle ne manquait pas d’atouts. Le problème était qu’elle ne disposait pas de mécanismes favorables à la valorisation de son immense capital immatériel pour le transformer en « business », pour passer de la recherche à la commercialisation. La France est aujourd’hui placée devant le même problème. Elle regorge de richesses qui en font un des pays les plus primés de la terre dans les joutes sportives, le plus industrieux par la diversité de ses percées technologiques, le plus savant par l’exigence de ses formations. Pourquoi faudrait-il qu’avec ces atouts, cette France devienne stérile d’idées, de projets, de pratiques qui devraient faire sa fierté et sa richesse ? Le Forum de Davos 2006 avait pour thème « l’impératif créatif ». Lors de son discours d’ouverture, son fondateur, le professeur Schwab, a fustigé le mépris des idées et argumenté pour «une économie fondée sur les idées et la capacité à les mettre en œuvre »[3]. Tout le monde sur le pont ! L’innovation est d’abord un état d’esprit. Le rayonnement culturel de la France n’a cessé de diminuer depuis des décennies. Cela n’est pas le fait d’une faiblesse de la « langue », c’est le fait d’un déficit de créativité. Au «siècle des lumières » la force de la langue française tenait à la force des idées qu’elle véhiculait. Aussi nous faudra-t-il avoir des idées, beaucoup d’idées, de la jeunesse, de la folie, un peu, et de l’audace, beaucoup. Nous devons redevenir le pays fertile du « siècle des lumières » pour féconder l’économie mondiale.
Une évolution majeure des avantages comparatifs entre nations et entreprises est en cours. Si nous ne nous réveillons pas, nos compétiteurs vont aller démarcher nos clients, nos partenaires, nos fournisseurs avec des idées nouvelles, des projets de développement, des entrepreneurs de talents, de l’argent. En France les investissements vont continuer à se raréfier lentement faute de projets. Nos enfants iront voir à l’étranger si leurs idées et leur énergie ne peuvent pas être mieux employées. Alors que la compétition fiscale bat son plein, des sociétés importantes continueront à déplacer subrepticement leurs sièges sociaux dans d’autres capitales en nous laissant quelques vestiges. De plus en plus d’entreprises iront faire leurs marges et les dépenser à l’étranger, pendant que des représentants du peuple se chamailleront, toujours et encore, pour savoir pourquoi notre bourse est vide et nos emplois plus rares.
Nous devrons modifier notre posture intellectuelle et mentale pour profiter du cycle de croissance d’une économie immatérielle qui pourrait remettre en route une France gérée par des nains politiques. Plutôt qu’un constat, qui dépeindrait, une fois de plus, une France dépitée de ses insuffisances, j’ai traité ce sujet à travers un faisceau d’indices, une imposante documentation et de multiples rencontres avec des experts en me posant de multiples questions : en quoi les réseaux et l’économie immatérielle nous aideront-ils ou nous desserviront-ils? Quels impacts pour nos modes de vie, de travail et de consommation ? Quels sont les enjeux et les dangers spécifiques à l’économie immatérielle ? Quelles formes prendront les leviers de croissance en devenir en matière d’économie des connaissances? Quels sont les pistes les plus prometteuses pour nos entreprises ? Quels sont les acteurs les plus impliqués et en quoi transforment-ils les conditions de la compétitivité entre les nations ? Comment s’adapter et adapter nos organisations à une époque toute proche où la part de la valeur immatérielle sera plus importante que celle des biens tangibles ? Autant de questions qui venaient au fil de mes découvertes d’une planète numérique qui n’a pas fini de faire parler d’elle !
L’ouvrage qui suit, découpé en trois grandes parties, ambitionne de démontrer que nous avons mieux que de vieux restes. Mais l’affaire n’était pas simple. S’attaquer aux problèmes de l’économie immatérielle des savoirs, au rôle que jouent les réseaux savants dans la libération des échanges des connaissances, marchands ou non c’est explorer les nouvelles formes de création de valeur, c’est aussi s’interroger sur notre patrimoine intellectuel et les façons à la fois de le valoriser et de le protéger. Autant dire que j’ai pris mon temps pour identifier les enjeux clés d’une guerre économique qui ne dit pas son nom et pour répondre à ces questions, parfois très complexes. A une époque où l’on lit « digest », où l’on « surfe » sur quelques pages pour s’informer superficiellement, j’ai, comme mon éditeur, longuement hésité à entrer dans l’analyse de fond des caractéristiques d’une économie des idées et des connaissances à bien des égards perturbantes. Ce qui m’a décidé en fin de compte, c’est l’importance de montrer et de démontrer les interdépendances complexes d’évènements affectant de multiples domaines de la sphère socio-économique. Avec pour résultat un livre dense où chaque chapitre illustre une facette des enjeux auxquels devront faire face les nations modernes, les nations savantes.
Dans une première partie, « Netbrain, planète numérique « Low cost », j’ai souhaité montrer comment, depuis quelques années, l’économie « low cost » fait sentir ses effets dans de nombreux pays sous la pression des pays émergents. Ces derniers offrent un pouvoir d’achat supplémentaire aux acheteurs des pays dits « nantis ». Mais si l’Internet favorise cette pandémie de l’économie « low cost », il renforce encore l’intensité concurrentielle sur les prix au détriment des emplois. Ce qui fragilise des populations et engendre des stratégies d’optimisation des ressources monétaires dans les familles et la « recréation » de solidarités et de trocs sur Internet en contournant l’économie monétaire traditionnelle. Les réseaux de Netbrain, la planète numérique, permettent à des millions de gens d’accéder économiquement à des biens inaccessibles autrement. Les marchés de seconde main (les enchères en ligne par exemple), les échanges non marchands (le troc) et enfin l’innovation vont agir profondément sur « l’éco-efficience » du futur. Nous sommes entrés pour de longues années dans un cycle d’éco-efficience rendu possible par la numérisation du monde. Partout la priorité des économies modernes sera de rentabiliser mieux les ressources et les revenus disponibles. Nos sociétés utilisent aussi les réseaux afin de substituer les déplacements numériques aux déplacements physiques, l’immatériel au matériel, les biens numériques aux biens tangibles. Il s’agit de consommer moins de matières premières tout en produisant autant de biens et de services. L’installation de la société numérique a de profondes conséquences socioéconomiques mises en évidence par l’émergence des premiers espaces sociaux virtuels. Les acteurs, l’homme, maillon faible de la systémique informatique, garde le pouvoir grâce à ses idées, à ses désirs d’imaginer et d’organiser un monde différent. Il donne du sens aux évolutions de la société et de ses futurs. Dans des espaces numériques dédiés, des milliers de citoyens savants du Web pourront grâce à leurs connaissances et à leurs idées se pencher sur divers problèmes et, collectivement, leur apporter des solutions plus rapidement, plus économiquement. L’ensemble de ces facteurs concourent à la création de « lean organisations » à faible intensité capitalistique et à forte intensité de matière grise, caractéristiques de l’économie coopérative. Un modèle adapté au développement éco-efficient. C’est pourquoi le phénomène Low Cost, qui ouvre cet ouvrage, s’inscrit dans la perspective historique du développement durable sans le faire rimer, nous le verrons, avec « décroissance durable ».
Dans un tel contexte on ne peut plus se battre sur le seul plan de la diminution des coûts. Le défi est de favoriser les échanges d’idées et l’innovation. Les réseaux sociaux deviennent des vecteurs d’essaimage d’idées, d’échanges d’expériences et de recherches partagées. Ils repoussent les limites de l’économie et des rapports marchands traditionnels en redessinant la géographie de pays qui deviennent pour partie virtuels. Ils repensent fondamentalement comment utiliser cette nouvelle matière première que sont l’information et les savoirs pour en faire ce que nous appellerons le « savoir transformateur ». Dans une telle perspective, il est évident que les échanges informels fertilisent les savoirs nés d’interactions entre cultures et fécondent de nouvelles innovations. Un anglo-saxon aurait parlé de « cross fertilisation », je parlerais de « efertilisation ». Reste un problème majeur. Malgré la qualité ou l’importance des réseaux en place, trop de réseaux d’entreprises existants se languissent dans des échanges protocolaires. Les dirigeants se posent la question de savoir pourquoi cette fertilisation se fait mal et comment mettre en branle ce mouvement brownien d’échanges d’idées et de savoirs indispensable à la créativité collective. Après des décennies d’étude sur les facteurs de productivité du travail et du capital, les sociétés modernes vont devoir s’interroger sur les bonnes pratiques relatives à la productivité des échanges. Les méthodes de production d’idées et de création de valeur ajoutée conjuguée n’ont rien à voir avec les méthodes connues de productivité. Cette valeur dépendra de la qualité des relations établies par les porteurs de talents, dans et hors de l’entreprise avec leurs partenaires et ses clients. Dans l’entreprise en réseau nous passons d’une logique des fonctions à une logique de la relation. Pour les internautes, le libre échange des idées et des savoirs sera la grande idée du siècle. Voilà ce que je voulais vous dire dans cette première partie.
Dans une seconde partie, « Réseaux savants : Planète Fertile » nous verrons qu’Internet ne sera pas uniquement un « réducteur des coûts ». Il sera aussi le moteur de l’économie des connaissances, le premier levier de la vente de nos savoirs pour peu que nous apprenions à leur donner une valeur marchande. Cette valorisation des patrimoines immatériels marque les débuts d’une marchandisation de la connaissance. Des réseaux s’organisent pour l’acquérir et ou la commercialiser. Ils se heurtent au refus de certains de considérer que les connaissances sont entrés dans un univers concurrentiel alors que nos grandes écoles sont mises en perte de chance faute de ressources pour résister à la concurrence internationale sur les nouveaux marchés de la formation. Notre nation dépense 4,7% de son PIB pour son enseignement, soit presque deux fois plus que tous les autres pays (entre 2% pour le Japon et 3% maximum pour les États-Unis) et porte à 8% la totalité de son engagement dans la formation et la R&D. Sur ce plan, la France est champion mondial ! Les choses se gâtent lorsque l’on observe la portion congrue qui revient à l’enseignement supérieur avec 1,1% du PIB soit le plus faible par rapport à l’Angleterre, la Japon, l’Allemagne ou les Etats-Unis. Si on considère tous les obstacles que la classe bavarde de ce pays s’ingénie à mettre pour entraver la créativité de sa R&D, si on considère les errances de sa politique et les faibles moyens qui sont octroyés aux laboratoires, aux universités et aux écoles supérieures, alors oui, nos scientifiques sont les meilleurs du monde. Mais les savoirs ne suffisent pas pour fabriquer des idées. Un paquet de grosses têtes ne fait pas un groupe innovant. Cette confusion entretenue entre l’innovation et la production d’idées me paraît dangereuse. Ce sont les idées qui « allument » les innovations, pas l’inverse. Cette simple observation vous le verrez a des répercussions considérables sur les méthodes utilisées pour gérer des processus d’idéation qui deviennent collectifs. La créativité précède l’innovation. la France est-elle créative alors que la recherche c’est du « business » et que les laboratoires et les universités deviennent productrices de valeur grâce à la vente de licences ?
De la même façon que l’industrie perd ses champions nationaux ou régionaux, la R&D s’exporte tout autant qu’elle s’ouvre à des coopérations transverses tous azimuts. Avec les réseaux savants, l’expression « brain drain » a été remplacée par celle de « brain circulation ». Il nous faut admettre que la recherche c’est du « business » ! Les règles du jeu changent. Le marché des licences représentera plusieurs centaines de milliards de dollars dans moins de vingt ans. Avec ses licences, l’University of California System produisait en 1991, près de 19 millions de dollars en royalties. Cinq ans plus tard, en 1996, ce chiffre montait à plus de 63 millions de dollars, suivi de Stanford qui alignait la même année presque 44 millions de dollars. La France a-t-elle vraiment des idées si elle n’a pas de pétrole ? Une recherche trop endogène, une vision trop hexagonale des enjeux, limite ses capacités à retenir ses talents, à attirer des capitaux et à vendre ses innovations. Des années de sous investissement, d’attentisme des pouvoirs publics en matière de R&D font que nous partons avec de gros handicaps qui ne sont pas que financiers. Nos universités, nos « usines à savoir », nos connaissances mises en ligne sont désormais soumises à la concurrence internationale. Nos entreprises alliées des universités et des scientifiques doivent accepter de produire de l’innovation marchande. Nous devons devenir de vrais producteurs d’idées qui attirent les meilleurs talents puis des « commerçants » des savoirs afin de rentabiliser le fruit de nos innovations.
Dans une troisième partie, « Les Batailles des Nations Savantes », j’embarque mes lecteurs sur le champ des batailles à venir qui opposeront violemment les partisans de l’économie des biens numériques communs et ceux des biens numériques privés. Une économie des contenus dont nous risquons à tout moment de nous faire « exproprier » par les opérateurs détenant le monopole de la distribution et des échanges des biens numériques. Les acteurs n’y sont en rien innocents mais, plus important, beaucoup trop de nos dirigeants n’en comprennent pas encore les ressorts. Ils mettent notre futur en perte de chance. Idéalistes s’abstenir. Le misérabilisme indécent des éditeurs et les prétextes pour préserver leur monopole de la distribution des biens numériques, masquent des enjeux autrement importants dans ces batailles entre nations savantes. La compétition pour s’emparer des ressources de matière grise et des réseaux savants nécessaires à l’économie des savoirs ne sera pas moins âpre que celle que nous avons connue pour s’approprier des matières premières ou conquérir des territoires. D’âpres conflits économiques sont en cours qui tentent d’exproprier des entreprises ou des nations de pans entiers de savoirs. Nous devons faire face à des milliards d’euros de contrefaçon, des milliards d’euros de licences détournées, des milliards de droits des biens numériques communs tombés dans l’escarcelle de sociétés privées, des milliards d’euros de R&D qui s’investissent ailleurs qu’en France, des milliards d’euros cumulés de formation de scientifiques partis enrichir des sociétés étrangères. Nous perdons nos positions dans une netéconomie dont nous n’avons pas compris suffisamment tôt l’influence qu’elle aurait sur notre destin collectif. Sous couvert de droits de la propriété industrielle taillés sur mesure, il ne s’agit plus de se procurer des territoires et des matières premières mais des pans entiers de connaissances au risque de stériliser les idées innovantes. Entre partisans des « biens numérique communs » et des « biens numériques privés », l’économie des biens numériques n’a pas encore trouvé d’arbitre international. L’économie des contenus est en train de nous échapper et sur le point de tomber totalement sous domination américaine, au nez et à la barbe d’élus trompés par le tapage des éditeurs nationaux qui résistent de toutes leurs forces à la dérégulation de la distribution des biens numériques.
Un nombre encore trop important d’entreprises n’est pas préparé à la numérisation de l’économie. L’avance de la société civile sur les institutions et les entreprises devient générale. Pourquoi ce qui passionne des millions de jeunes gens et des internautes précurseurs n’affecte-t-il que marginalement le fonctionnement des entreprises ? Ces outils du lien social déjà largement utilisés dans notre société n’étaient pas utilisés dans trois entreprises sur quatre selon un sondage engagé en 2003 par Eurotechnopolis Institut et l’Institut de Gestion Sociale[4]. Lorsque les entreprises mettent, difficilement, en place des groupwares et autres logiciels collaboratifs, des millions de jeunes et de moins jeunes utilisent déjà des jeux virtuels en ligne où ils se défient, discutent, se battent (ou font semblant), gagnent des points, des territoires, des armes ou des dons magiques, qu’ils vendent, échangent ou utilisent au gré du jeu. Les forums sont l’ordinaire de la vie des internautes et la téléphonie sur la Toile regroupe plusieurs millions d’utilisateurs mais on tremble chez nos dirigeants de l’audace d’une société civile sans « ingénieur système » ou « ingénieur sécurité ».
Saurons-nous gagner des devises sur ces nouveaux marchés alors même que la majorité de nos entreprises ne sait pas valoriser ses actifs immatériels? Aurons-nous des entreprises et une nation fertiles, abeilles et fleurs à la fois !? Entreprises, disposez-vous d’un patrimoine intellectuel de valeur ? Seriez-vous exportatrices d’idées ? Avez-vous de quoi offrir aux nouvelles bourses des savoirs ? Savez-vous accéder aux idées pertinentes ? Faites-vous le nécessaire pour valoriser le capital d’idées de vos collaborateurs ? Savez-vous valoriser vos savoirs ? Savez-vous les rémunérer ?! Rendez vous compte ! … Dois-je être moins payé si je réalise en dix minutes ce qu’un incompétent fera dans une journée ? Cette question sur la récompense de la créativité des salariés, s’accompagne, avec les nouvelles logiques de l’économie immatérielle, d’une remise en question fondamentale des ukases de la productivité du travail vue par les économistes du 19eme siècle. Comment adapter les stratégies des entreprises dans un monde numérique. Faire gagner l’entreprise en se constituant un leadership sur internet. Comment !? En n’innovant pas par hasard grâce aux banques d’idées fournies par les salariés et les partenaires de l’entreprise reliée aux réseaux savants. Comment favoriser la fertilité et la rentabilité de la créativité ? En libérant les échanges d’idées par les réseaux afin de constituer le miel du patrimoine immatériel le plus riche possible. Les compétitions à venir se déplacent vers les capacités des organisations à inventer, mais aussi à mettre en œuvre leurs idées rapidement. La performance d’une société moderne se mesure par sa capacité à passer de l’idée à l’action. Il s’agit d’éviter de voir nos scientifiques, nos créatifs, s’enliser dans des organisations lourdes incapables de réactivité. Nous sommes en guerre de l’intelligence. Une « guerre » ne fait pas dans la dentelle. Il faut cesser de mener une guerre des biens immatériels comme on dirige une administration. Aux Etats-Unis, Donald Rumsfeld, secrétaire à la Défense des États-Unis, déplorait dans un discours de février 2006, devant le Conseil des Relations étrangères, la bureaucratie trop lourde de son gouvernement, incapable d’être de son temps et de travailler efficacement avec les technologies d’aujourd’hui. Pour illustrer son plaidoyer, le chef du Pentagone a comparé les États-Unis à «un magasin Five and dime (vieux magasin de détail) dans un monde où règne eBay». Une déficience dangereuse, estimait-t-il[5].
La réponse aux exigences de cette « créativité collective » ne se fera pas sans bouleverser les façons de penser le management d’hommes organisés en réseaux professionnels et sans revoir les façons d’organiser l’accès à des ressources immatérielles. Les entreprises devront absolument libérer et encourager les échanges d’idées dans les réseaux et gérer des processus de constitution des banques d’idées. Nous montrons les profits considérables dégagés par celles qui ont favorisés les espaces d’échange de connaissances et de créativité. Les dirigeants devront reconnaitre leur personnel comme élément premier de leurs actifs immatériels. Car c’est cela notre capital aujourd’hui. Un capital immatériel, gigantesque, qui donne aux pays comme aux entreprises qui pétillent d’idées la chance de fertiliser le monde, d’innover, en s’enrichissant. Il est encore temps de revenir sur le devant de la scène et de gagner une « pole position » internationale en matière de netéconomie. Mais à condition d’agir vite et sans complexe de façon à envoyer un message fort à la communauté scientifique et aux entreprises internationales. Pour limiter l’expatriation de ses talents, pour tirer le meilleur parti de l’économie des connaissances tout en rattrapant le temps perdu, la France doit devenir un vrai paradis fiscal pour les actifs immatériels, la R&D et les formations supérieures qui partent à l’étranger. Elle doit s’armer pour faire face à une compétition fiscale qui ne fait que commencer qui obligera certaines nations à reconsidérer leur modèle économique.
En conclusion, ce livre vous offre une planète où, à tout moment, vous serez à même de vous demander si vous êtes une entreprise fertile, un cyber-citoyen imaginatif. Devenu auto-producteur, l’internaute substitue à l’image du spectateur ou du téléspectateur passif, l’image d’un individu qui agit en réaction aux histoires du monde. Les internautes deviennent, pour une part croissante d’entre eux, les acteurs d’une société numérique de nature libérale. La planète numérique permet l’échange et le partage des opinions, la confrontation aussi. Non seulement la Toile libère les individus de beaucoup d’inhibitions mais elle les incitent à prendre seul ou collectivement leur destin en main. Les cyber-citoyens forment l’essentiel des « réseaux d’affinités » qui agissent de façon concertée y compris pour créer de toutes pièces un pays virtuel cristallisant une communauté spécifique.
Ce brassage des idées et des propositions en tous genres qui pour certains ressemble au chaos devient pour d’autres autant d’opportunités à saisir. Disposer d’Internet c’est mettre un pied dans l’économie du 21eme siècle qui favorise et facilite grâce à la puissance des télécommunications, les réseaux d’affaires qui, autrefois, ne concernaient qu’une petite élite économique et politique. Les réseaux savants s’organisent globalement en blocs de patrimoines immatériels faisant fi des frontières traditionnelles pour constituer des communautés d’expertises transnationales plus ou moins formelles. Les nations, certaines régions du monde, sont devenues des « hubs » spécialisés dans la gestion et la commercialisation des biens immatériels. Ces réseaux deviennent de véritables puissances économiques et politiques et n’hésitent pas à envisager de constituer de toute pièce un pays virtuel pour y défendre leurs intérêts. La conduite des affaires de ce monde là ne répond plus aux pratiques de la politique des territoires traditionnelle, elle devenir une politique par projets alors que l’élu lui même deviendra à son tout un internaute immergé dans le monde digital.
Vingt cinq ans après avoir lancé un voyage vers l’entreprise virtuelle, nous avons choisi de vous proposer le projet d’occuper massivement une nouvelle « Terra incognita », Netbrain. Une planète numérique qui nous offre une formidable chance de rattraper le temps perdu. D’offrir aux plus vifs et aux plus audacieux un nouveau monde numérique à faire fructifier. La France va devoir identifier, développer et défendre les facteurs clés de son rayonnement face à des concurrents qui, grâce aux réseaux savants, entrent, eux aussi, dans l’économie des « savoirs transformés ». Mais nous ne serons pas seuls dans cette compétition ! Les réseaux savants se sont mis au service des neurones. La matière grise comme les idées deviennent les moteurs des « pôles positions » à prendre dans le concert des nations. A la sortie de ce livre sur l’économie des biens numériques vous ne verrez plus, vous ne lirez plus, vous n’interprèterez plus de la même façon les nouvelles d’un front invisible, celui de la bataille des nations savantes.
Denis Ettighoffer – Décembre 2006
[1] Nicolaï Kondratieff publie en 1928 « les grands cycles de la conjoncture » qui fondent la pensée économique sur la nature et les causes de plusieurs cycles conjoncturels ayant chacun leurs spécificités dans la dynamique des échanges et des comportements socio-économiques.
[2] Édité en France par Inter Editions, Paris, 1987
[3] Jean-Pierre Robin, Le Figaro du 8 janvier 2006.
[4] On trouve les messageries, l’accès à internet, et les moteurs de recherches. Mais pas les téléréunions, les forums de discussions, encore peu les portails employés, les communautés de travail, le bureau virtuel, l’utilisation des blogs,