Votre carnet d’adresses a-t-il de la valeur ? Bien sûr ! Des sociétés n’hésitent pas à payer très cher des personnalités du monde de la politique et des affaires afin de bénéficier de leurs réseaux de connaissances et d’influences. Chacun, encore, a pu constater combien de problèmes de management ont trouvé leur solution grâce à quelques coups de téléphones judicieux aux bonnes personnes. Le réseau est un capital mais aussi un ascenseur social lorsqu’il favorise l’employabilité. Depuis toujours la nature des relations que l’entreprise a su développer avec son écosystème conditionne sa réussite.
Aujourd’hui les choses bougent, les récentes applications du Knowledge Management mettent désormais l’accent sur les chaînes humaines de compétences. Le réseau de compétences constitue alors un capital qui peut avoir une grande valeur dans la mesure où il facilite les échanges d’expériences et d’innovations. « Les Réseaux deviennent le lieu pour l’innovation, » déclare Walter W. Powell professeur à l’Université de Standford. Ce concept n’est pas pour autant toujours appliqué avec discernement. Aussi Martin Ruef, enseignant à Stanford Graduate, invite chacun à « élargir ses horizons socioprofessionnels » afin de trouver les étincelles (nous parlons des pollinisateurs) qui alimenteront l’imaginaire collectif et individuel. En utilisant les données de 766 entrepreneurs et de ses contacts du Stanford Alumni, sur les organisations des réseaux relationnels l’étude de Martin Ruef tend à démontrer que la structuration en « réseau fermé de collègues » n’est jamais que la représentation moderne des silos fonctionnels que nous trouvons encore dans trop d’organisations.
La faible ouverture aux autres tend à limiter les apports d’idées. L’entreprise limite les contacts à des vétérans qui tendent eux, à fermer les portes aux innovations, à ceux « qui remettent en question ». S’enfermer ou couper son cerveau d’autres apports revient à s’enfermer dans l’exercice solitaire de sa discipline et d’y rester bloqué. En d’autres termes entretenir un réseau de correspondants qui se fige rapidement par manque de temps, de vigilance ou de paresse intellectuelle ne répond pas à l’objectif consistant à s’ouvrir à divers horizons professionnels. Ruef constate que les entrepreneurs les plus créatifs dépensent moins de temps que la moyenne dans la gestion de leur réseau traditionnel avec les collègues d’affaires amis et beaucoup plus de temps avec des groupes divers pour des relations éphémères avec des étrangers. Ruef explique : il s’agit de liens faibles – de relations autres que des collègues amis – mais qui fournissent de l’information non superflue, des apports décalés ou nouveaux et contribuent à l’innovation parce qu’ils ont tendance à servir de ponts entre des groupes sociaux débranchés, dit-il. Des liens faibles qui ouvrent sur des idées originales, expérimentales ou se combinent de sources disparates qui imposent moins de conformité sociale que les liens forts. Du rendement croissant permis par les réseaux, on peut en déduire empiriquement que la fertilisation des idées et des savoirs pluridisciplinaires sera proportionnelle à cette capacité d’ouverture des entreprises[1]. Pas un responsable qui ne sache que la valeur de son entreprise dépend de la qualité des partenaires avec qui il a su développer ses relations dans son écosystème. Il sait que les actifs immatériels ne se voient pas sur le bilan comptable de l’entreprise mais il sait aussi qu’il peut à tout moment faire appel à des membres du réseau, même du bout du monde, pour résoudre ou éclaircir un problème, contourner une difficulté ou apprendre quelque chose. Le réseau relationnel, le « réseau qui sait » devient partie intégrante du « capital immatériel » du knowledge networker. Un réseau qu’il mettra au service de son entreprise s’il en a le goût et le désir. Ce qui implique de savoir attirer des individus équilibrés qui ne pratiquent pas un égocentrisme malsain de leur talent. L’objectif ici est de faire en sorte que tous les corps socioprofessionnels de l’entreprise participent. Car chacun a un « réseau savant » propre qui peut avoir une influence propice aux objectifs de l’entreprise. Ces réseaux d’affinités transcendent les frontières de l’entreprise. Un fait déjà observé dans les grandes universités où les enseignants sont en permanence en voyage ou en travaux dans les domaines les plus divers avec des chercheurs d’autres universités. Ces réseaux savants mobilisent des savoirs qui peuvent être plus complets et plus importants que celui d’une équipe dirigeante (qui pourra faire appel à eux à l’occasion). Ils servent de ressources de compétences pour soutenir l’installation d’une entreprise membre du réseau en Chine, par exemple.
Différemment on les utilise pour participer à des « web conférencings », mobilisant des experts de différents horizons pour des réunions de remue-méninges où ils apportent des éclairages prospectifs sur les sujets les plus variés. L’organisation, pas très structurée au départ, va passer progressivement de la spécialisation des individus, à la spécialisation des réseaux. De fait on passe aussi d’une logique territoriale à une logique de réseaux qui capitalisent des connaissances et qui irriguent des zones géographiques entières. A la place des districts industriels classiques, on retrouve l’idée des zones économiques en grappes qui sont des « Zone d’Innovation et de la Connaissance » (Knowledge Innovation Zone) regroupant des activités innovantes et fortement synergiques. Il y a trente ans, on dénombrait 80 de ces zones économiques spéciales (SEZs) sur 30 pays. Elles exportaient à peine 6 milliards de dollars et employaient approximativement 1 million personnes. Aujourd’hui, ce sont 3,000 SEZs qui opèrent dans 120 pays et représentent 600 milliards de dollars d’exportations[2]. Ces réseaux savants deviennent, pour ceux qui les connaissent et s’y insèrent, un atout de la compétitivité internationale car les capitaux et les clients vont là où ils où se trouvent les savoirs les plus inventifs.
[1] Pour en savoir plus http://www.inthekzone.com/
[2] Pour en savoir plus sur les relations existant entre le retour sur investissements en matière de R&D et le rôle des NTIC voir « Innovation et Compétitivité » Insee 37/38 novembre 1993