A la fin des années 1980, au pays basque le gouvernement de Vitoria fait face à une industrie régionale sinistrée depuis la crise énergétique de 1978. La situation sociale était désastreuse : 30% de chômeurs en moyenne, 40% à Bilbao. Que faire pour redresser la situation? Le gouvernement régional fit appel à Michael Porter, professeur à la Harvard Business School. Ce dernier tentera un pari extrêmement audacieux à l’époque en pariant sur un système d’entreprises organisées en grappes,  les clusters[1]. Pour cela il s’appuya sur deux atouts, l’esprit de la diaspora basque et le modèle d’organisation coopérative inspiré par le modèle de MCC.

CoopérationMais qu’est ce que cette MMC !? MCC (Mondragon Corporacion Cooperativa), est un complexe coopératif qui regroupe plusieurs milliers d’associés qui travaillent au pays basque espagnol. Ce modèle de coopératives intégrées, très observé dans les pays anglo-saxons depuis l’intérêt porté par Michael Porter à cette organisation industrielle, aura fêté ses cinquante ans en 2005 avec des résultats surprenants[2]. Ses activités pourraient se comparer à celles de Seb ou de Moulinex. MCC est aujourd’hui une grappe d’entreprises que viennent visiter des centaines de visiteurs estomaqués par la réussite de ses 168 coopératives accrochées à la montagne du pays basque espagnol. Une multinationale de petites industries dans les automatismes et l’électroménager – plus connu du grand public par sa filiale Fagor – comprenant des activités dédiées à la recherche et l’éducation, l’agriculture et les services. L’organigramme du groupe organise la solidarité inter-coopérative industrielle, sociale (il n’y a pas de chômage, parce que pas de mise à la porte) et financière entre toutes les entreprises. Enfin la coopérative considère que le « capital » n’est qu’un outil, subordonné à la souveraineté du travail. Cette culture de la solidarité coopérative trouva à s’exercer en 1997 lorsque le coréen Daewoo attaquera le marché espagnol de l’électroménager en cassant les prix, menaçant Fagor dans ses positions commerciales. Ce furent les coopérateurs eux même qui votèrent à une large majorité le gel de leurs rémunérations pour rester compétitifs. Après son rachat de Brandt, la coopérative représentait un ensemble, présent dans six pays sur trois continents, faisant travailler plus de 100 000 employés et ouvriers. Un miracle économique ? Non, un modèle d’organisation d’avenir. C’est ce que constatent les observateurs internationaux plus de vingt ans après la mise en œuvre du plan Porter. Y compris Michael Porter lui-même qui a fait du redressement du Pays Basque le sujet de ses premiers cours à Harvard sur les clusters companies. Cette expérience inspirera une partie de ses thèses sur la Compétitivité des nations, ouvrage où il abordera pour la première fois les fondements de l’économie coopérative.

Quelques années plus tôt nous avions mis l’accent sur les caractéristiques de l’économie en réseau. Des caractéristiques qui seront progressivement mises à profit par les entreprises et par les Etats. Mais que de confusion ! Dans « Méta-organisations, les nouveaux modèles créateurs de valeurs »[3] nous nous attachions à démontrer le rôle important qu’aurait les modes de structurations singuliers des réseaux. Schématiquement nous trouvons les réseaux systémiques où des organisations, des entreprises créer de grands ensembles, les méta-réseaux afin de gagner en efficacité et en productivité globale. Puis nous trouvions, disions-nous, des réseaux d’entreprises qui mettaient leurs talents respectifs afin de coopérer, à l’occasion ou de façon permanente, sur leurs marchés électifs. Le modèle systémique permet de faire des gains de productivité et le modèle coopératif offre la capacité à « mutualiser », donc à « économiser » des ressources – donc du capital et du travail. Ce mode coopératif aura une autre conséquence particulière. Il va obliger les unités d’œuvres à se spécialiser, à diminuer de taille et à s’organiser en réseaux afin d’améliorer leur marge opérationnelle. Ici il s’agit, dans une économie immatérielle, moins de faire des gains de productivité que de créer de la valeur ajoutée à plusieurs grâce à des échanges de services, de compétences. Ils annonçaient mes réseaux savants[4] !

 

 

Les réseaux systémiques pour la productivité globale. Pour une majorité, en tous cas dans un premier temps, les réseaux seront utilisés pour optimiser le modèle existant, pour gagner en productivité globale. Dans ce modèle économique que nous dirons « traditionnel », l’accumulation du capital technologique contribue au développement économique grâce à des gains de productivité plus où moins spectaculaires selon les branches d’activités. Ce sont des ensembles systémiques reliant plusieurs entreprises qui permettent le « zéro délais et le zéro stock » ce qui limite le capital et la trésorerie immobilisés.  De plus la diminution spectaculaire des coûts des transactions entre organisations accélère la rotation des stocks et diminue les besoins en matière d’emplois. On peut d’ailleurs parler d’hyper productivité dans la plupart des cas où les réseaux d’ordinateurs ont éliminé les intermédiaires humains. Résultat, la croissance économique des années 90 aux Etats-Unis a été essentiellement due aux gains de productivité systémique des extranets professionnels.

Mais l’utilisation des réseaux pour gagner en productivité globale est un « fusil à un coup »…. Si les coopérations systémiques ont d’abord servi à optimiser les performances des systèmes en place : Maintenant, elles les transforment.

Les réseaux coopératifs pour la flexibilité opérationnelle. Nous avons démontré dans Mét@organisations que l’intensité technologique ne contribuait pas de façon décisive à la compétitivité et à la création d’emplois[5]. Les entreprises les plus compétitives ont compris la nécessité de s’associer avec des partenaires pour être globalement plus performants et de combiner des entités qui se complètent afin de créer de la valeur. L’enjeu consiste à s’insérer dans des grappes d’entreprises spécialisées en s’organisant en communautés professionnelles à forte intensité de connaissances. Les réseaux, en facilitant les échanges des savoirs, participent à leur rentabilisation. collectifDe grands laboratoires ont augmenté leur capacité de recherche en s’associant en équipes virtuelles. L’ingénierie concourante mobilise l’expérience et les savoirs des différents partenaires afin de réduire au maximum les problèmes susceptibles d’engendrer de coûteuses défaillances dans la fabrication et dans le service après vente. Dans l’économie coopérative, c’est par une rupture de l’approche organisationnelle conventionnelle que l’on crée  de la valeur. Il s’agit d’inventer une organisation nouvelle, de nouveaux  » business models » à partir des possibilités données par la mise en réseaux. Parmi ces nombreuses transformations nous lui devons le retour à une économie coopérative. Elle est la résultante d’une nécessité mondiale d’échanger et de partager plus économiquement des savoirs et des ressources immatérielles qui représentent déjà plus de 20% de la richesse mondiale et 60% des économies modernes. Faute de l’avoir compris certaines sociétés parties dans la Netéconomie ont été surprises par l’évolution rapide des modèles économiques à partir desquels elles s’étaient lancées. Prenant le train du progrès, le processus Schumpetérien de création et de destruction de valeur s’est accéléré. Les entreprises profitant des nouvelles possibilités créées par les réseaux. On constate un développement imaginatif – mais rapide – de produits et des services propre à l’économie coopérative (co-développement, coproduction, codistribution). La capacité à collaborer de façon efficace avec des groupes de partenaires devient stratégique. Aussi assistons-nous à une formidable croissance de grappes d’entreprises qui s’allient entre-elles pour créer de la valeur ajoutée … conjuguée.

Le fait de travailler à plusieurs permet de donner à chacun, à chaque maillon du réseau, une fonction spécialisée plutôt qu’à vouloir les remplir toutes. On répartit mieux les compétences et le travail : les économies d’échelles ne sont plus dans la taille des entreprises, elles sont dans les réseaux. Au final on aboutit à cette observation que la création de la valeur conjuguée, la rentabilité de l’économie moderne à forte intensité de capital immatériel, dépendent de la capacité d’une intelligence collective à valoriser son patrimoine intellectuel en intensifiant les transactions entre les acteurs d’une même communauté, d’un même réseau savant. Dans les conclusions de son « Rapport sur la performance globale de la France »[6] Jean Gandois, rappelait que la richesse d’un pays dépend moins de l’excellence de chacun que de la qualité des relations qui s’établissent entre eux. En effet, on découvre que des synergies économiques nouvelles constituées par un nombre croissant d’acteurs interconnectés, contribuent à la création de valeur grâce à des modes de travail coopératif dédiés aux échanges d’idées et de savoirs. Dès la fin des années 90, l’Insee avait repéré que les entreprises qui utilisaient le « web » croissaient deux fois plus vite que leurs concurrentes, doublait leur valeur ajoutée et leur capacité de création d’emplois. Des milliers d’entreprises entreprennent de collaborer ensemble afin d’améliorer leur rentabilité globale mais, elles ne le savent pas encore,  bien plus seront amenées un jour ou l’autre à entrer dans une coopérative d’entreprises… à suivre.


[1] Clusters, anglicisme à la mode pour dire « grappes » et auquel j’avais préféré le terme de « méta-organisations » pour mon livre de 2000 sur le sujet.

[2] Début des années 2000, onze clusters fonctionnaient dans la région constituant des chaînes privilégiées de partenariat public/privé entre institutions, grandes entreprises et PME. Selon les locaux, ces sont des clusters mixtes qui comprennent 50 à 60 dirigeants de PME chacun. Le secteur industriel représentait 40,4% du produit brut intérieur brut espagnol et 31,6% en valeur ajoutée totale contre 24,2% pour la France en 2005. Un document rédigé par l’association France Euskadi détaille les indices manifestant ce redressement (taux de revenu par tête qui égale désormais celui de la France, taux de chômage plus faible qu’en France et en Espagne….) et décrivant les projets pour la recherche et la formation supérieure (plan 2010).

[3] Village Mondial, 2000. Prix Turgot des meilleurs livres économiques en 2001.

[4] Voir « Netbrain, les batailles des nations savantes » Dunod 2008, Prix du livre 2008 de l’économie numérique

[5] Mét@organisations les nouveaux modèles de création de valeur, Denis Ettighoffer, Village Mondial 2000.

[6] Documentation Française » 1993

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A propos de l'auteur

Denis

Denis Ettighoffer, fana de science-fiction, auteur de « L’entreprise virtuelle », le livre qui l’a fait connaître en 1992 est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Ses contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels sont nombreuses. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Son parcours atypique aura forgé chez lui une pensée singulière. Son dernier livre, « Netbrain, planète numérique, les batailles des Nations savantes » (Dunod) a reçu le prix du livre du Club de l’Economie Numérique en 2008. Denis Ettighoffer un temps Membre correspondant de l’Académie de l’Intelligence économique collabore désormais avec l’équipe d’IDEFFIE (Développement de l’expertise française et francophone à l’international et en Europe ) .

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