Ras le mail ! Il y a déjà quelques années, un responsable d’un groupe « très branché » à qui je reprochais son retard à répondre à un de mes messages, m’avouait n’avoir plus le temps suffisant pour répondre aux « courriels » qu’il recevait. Et de conclure, il vaut mieux m’envoyer un courrier classique. Je le traite bien plus vite. Il n’était pas le seul. Le bourrage des boites à lettres électronique par du spam et des publicités de l’emarketing lasse les internautes qui sont de moins en moins nombreux à ouvrir leurs mails. Une majorité est dépassée par le nombre reçu : 46% des entreprises ne répondent pas suffisamment rapidement aux mails qui leur sont envoyés. C’est vrai qu’il y une overdose de mails tant pour l’individu que pour son entreprise. Certains n’hésitent pas à se plaindre d’un déluge électronique à l’origine d’un stress supplémentaire, d’autres argumentent contre la messagerie électronique arguant qu’elle est à l’origine « d’une perte de productivité » des salariés. Il convient d’aborder ces affirmations avec une extrême précaution.  Qu’une entreprise comme Atos Origine et son médiatique président ait lancé l’idée d’une organisation « sans mails », en encourageant à la place sa propre solution technique, à savoir son réseau social ou son extranet maison, est de bonne guerre… . Mais dire que leur collaborateur y passe jusqu’à 10 heures ou même 20, sur – mettons 45 heures travaillées – c’est un peu beaucoup, ne trouvez-vous pas? Lorsque la lecture se fait au fil de l’eau, on traite les mails en quelques secondes en parallèle à d’autres tâches. C’est pourquoi dans le « Syndrome de Chronos »  nous faisions la différence entre le travailleur « monochrone et le travailleur polychrone« . No Mail, ne résoudra pas le problème, selon moi, un problème d’organisation et de formation.

Nos entreprises sont devenues relationnelles. Tout le monde parle et ou écrit à tout le monde. Ce qui pose d’ailleurs des difficultés nouvelles avec l’explosion des échanges interpersonnels (professionnels ou pas) et l’augmentation de leurs coûts. Il y a quelques années maintenant, Apple a réalisé une étude sur les échanges entre entreprises. Le résultat était que les petites unités échangeaient avec l’extérieur 80% de la totalité de leur communication alors que, vous l’avez sans doute deviné, les grosses boites échangeaient pour 80% entre leurs unités internes. Un résultat qu’il fallait prendre avec précaution car les activités de services impliquent une quantité croissante de gens, d’experts, d’entités extérieures qui « touchent le ballon » et donc multiplient les communications les plus diverses. Le tout est accompagné d’un « énorme bruit de fond » du à des échanges inutiles et superfétatoires. Photos, clips, textes ou PDF distrayants font l’ordinaire du salarié branché. Pour ne rien arranger l’élargissement des voies de communication avec le haut débit aura constitué un effet d’aspiration dans des échanges pas toujours indispensables. C’est vrai que l’explosion du courrier électronique pose de nombreux problèmes. Un réseau socioprofessionnel dédié reste une bonne idée pour organiser dans un nouveau canal des échanges qui peuvent se passer des mails. Mais cela ne sera pas une solution miracle. Un système de courrier électronique fonctionne par adressage à des personnes nominatives, celle d’un réseau de type intranet ou extranet est de fonctionner par adressage à des groupes ou des thématiques de travail. Ces groupes forment des GFA (Groupe Fermé d’Abonnés) qui sont modérés le plus souvent : Ni entre pas qui veut et sans conditions. Cette organisation évite les envois de courriels redondants. Chaque groupe recueille des contributions qui peuvent faire l’objet de multiples commentaires dans un espace dédié à la thématique de travail. Ce qui, rappelons le, implique que le collaborateur de l’entreprise est une attitude proactive en allant régulièrement visiter les groupes avec lesquels il collabore.

Mais l’usage des messages publics aura vite des limites dues déjà la sécurité du fonctionnement et des nécessités opérationnelles des transactions interpersonnelles tant en interne qu’avec des partenaires et des clients toujours plus nombreux. Rançon d’un possible succès, l’intranet d’Atos n’enverra pas moins de matières à lire que les mails. Difficile aussi d’imaginer que l’on peut compter sur une forte diminution des  échanges personnels qui représentent jusqu’à 50% environ du total des échanges et qui, ceux là, ne passeront pas dans le réseau interne. Par ailleurs on constate que la réception de nombreux mails engendre fréquemment une activité de surfing sur la Toile pas toujours justifiée. Enfin, n’oublions pas non plus que les moyens de communication par les mobiles sont de plus en plus utilisés et échappent eux aussi à la régulation par le réseau de l’entreprise pour solliciter l’attention d’un collaborateur. Il est fort probable que les collaborateurs d’Atos comme ceux d’autres compagnies continueront à recevoir encore beaucoup de courriels et à y consacrer beaucoup de temps car la majorité des plaintes sur le déluge des mails sont liées à des messages « entrants ». Sans doute faut-il mieux compter sur les applications sur le filtrage assisté qui ne cessent de se sophistiquer. C’est là qu’il convient de porter le fer à la fois sur le plan technique et sur le plan des bonnes pratiques à imposer aux internautes. Il n’échappe à personne que l’explosion des courriels est accompagnée d’une addiction par les internautes au temps réel, à la lecture et à la réponse quasi instantanée. Rien n’empêche de nombreuses firmes à imiter l’exemple de Canon qui a incité ses collaborateurs à des journées sans mails. Pourquoi pas un serveur d’entreprise qui ne délivrerait les courriels que selon des horaires et des critères d’urgence et d’importance de ces derniers ? D’autres entreprises interdisent ou brident l’usage des pièces jointes afin de limiter la demande de bande passante. A vrai dire ce qui est en question c’est moins le mode de communication que la discipline indispensable à l’utilisation de certaines solutions techniques mise à  disposition des collaborateurs de l’entreprise. En effet, les constantes distractions et/ou interruptions dont font l’objet les salariés les plus branchés ont d’abord pour cause un comportement de zappeurs incapables le plus souvent de s’isoler pour travailler : être branché et réactif en temps réel devient le critère dominant. Cela ne le devient que dans les entreprises qui n’investissent pas suffisamment dans l’éducation de leurs troupes. Tout est affaire de formation et de discipline, on voit mal comment arriver à du « zéro mails » (qui n’est pas souhaitable) sans former et sensibiliser les personnels à des modes de communication plus efficaces. Il est intéressant de noter que les jeunes générations (Y?) préfèrent limiter leurs échanges par courriels au bénéfice d’échanges par les « murs d’affichages collectifs» des forums? Imposer un minimum de discipline et former à l’utilisation des outils me paraissent les solutions les plus évidentes face au déferlement des sollicitations des courriels.

 

Le cycle de vie d’un forum [1]

1. Enthousiasme initial (les gens se présentent et se félicitent beaucoup du bonheur de rencontrer des âmes sœurs).

2. Évangélisme (les gens gémissent sur le peu de personnes qui contribuent au forum  et réfléchissent à des stratégies de recrutement).

3. Croissance (de plus en plus de gens se joignent, des liens de plus en plus longs se développent, des liens hors-sujet apparaissent parfois).

4. Communauté (beaucoup de fils de discussions, certains plus pertinents que d’autres; beaucoup d’informations et de conseils sont échangés; des experts aident d’autres experts ainsi que des collègues moins expérimentés; l’amitié se développe; certains en taquinent d’autres; les nouveaux sont accueillis avec générosité et patience; chacun – aussi bien le nouveau que l’expert – est à l’aise pour poser des questions, suggérer des réponses, et partager des opinions).

5. Inconfort et diversité (le nombre de messages croît de façon dramatique; tous les liens ne sont pas passionnants pour chacun; on commence à se plaindre du ratio signal/bruit; la personne 1 menace de partir si «on» ne limite pas la discussion à son sujet préféré; la personne 2 est d’accord avec la personne 1 ; la personne 3 dit à 1 et à 2 de « lâcher un peu» 1, on consomme plus de bande passante à se plaindre des liens hors sujet qu’à utiliser les liens proprement dit; tout le monde s’ennuie).

6. Complaisance hautaine et immobilisme (les puristes flambent quiconque pose une « vieille» question ou répondent avec humour à un message sérieux; les nouveaux sont rejetés; le trafic ne correspond plus qu’à quelques sujets mineurs – toutes les discussions intéressantes se font par courrier privé et se limitent à quelques participants; les puristes passent beaucoup de temps à se congratuler réciproquement sur la nécessité de laisser les liens hors sujet en dehors de la liste).
7. Maturité (quelques personnes partent en colère; les autres participants restent au stade 4, le stade 5 apparaissant brièvement à quelques semaines d’intervalle; beaucoup de gens usent de leur touche delete , mais la liste retrouve ensuite la quiétude).

 


[1] Un petit texte de Mike trouvé sur le Net en avril 1995 et toujours d’actualité.

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A propos de l'auteur

Denis

Denis Ettighoffer, fana de science-fiction, auteur de « L’entreprise virtuelle », le livre qui l’a fait connaître en 1992 est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Ses contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels sont nombreuses. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Son parcours atypique aura forgé chez lui une pensée singulière. Son dernier livre, « Netbrain, planète numérique, les batailles des Nations savantes » (Dunod) a reçu le prix du livre du Club de l’Economie Numérique en 2008. Denis Ettighoffer un temps Membre correspondant de l’Académie de l’Intelligence économique collabore désormais avec l’équipe d’IDEFFIE (Développement de l’expertise française et francophone à l’international et en Europe ) .

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