A Santa Fe, les ingénieurs du centre de recherche d’IBM sur les applications des ordinateurs quantiques en sont encore tout remués. Il y a de quoi. Au cours de maintenances de routine sur leur  premier ordinateur  quantique « Perséus » en cours de test, ils ont découvert que celui-ci reprenait en arrière plan des demandes de calculs faites des jours auparavant par les ingénieurs. «  Comme si l’ordinateur rêvait en utilisant de lui-même une partie de ses ressources », dira l’un des ingénieurs sollicité par notre journaliste. Mais le plus singulier, c’est que les résultats qu’il obtenait alors étaient différents de ceux donnés quelques jours plus tôt. On peut comprendre l’effroi et la perplexité des chercheurs d’IBM à Santa Fe.

Pour comprendre, revenons aux  années 1980. La modélisation informatique du monde des entreprises est tirée par la demande d’une meilleure efficacité des organisations industrielles et commerciales. De ce point de vue, l’informatique a largement démontré ses effets positifs comparés aux approches empiriques. Cela ne c’est pas fait sans inconvénients. Le formalisme méthodologique associé à la supposé puissance de modélisation des modèles du management grâce à l’informatique a construit aussi tout un univers d’illusion pour les dirigeants d’entreprises. Bien que digne du plus grand intérêt pour comprendre la structure sous adjacente des évènements et leurs prolongements possibles, la modélisation systémique reste une science très pointue, hermétique pour la majorité des dirigeants, elle est, en réalité, peu utilisée dans la conduite des affaires courantes. Par contre nombre d’entre-eux sont tout à fait convaincu que l’informatique doit leur prêter assistance pour résoudre des problèmes qui en définitive viennent quasi toujours à optimiser des allocations de ressources et leurs coûts, différemment dit, de l’énergie (argent, usines, hommes, etc.) que va dépenser l’entreprise pour réaliser ses objectifs. La contrainte majeure étant de prendre les décisions dans un laps de temps le plus court possible, donc d’anticiper, d’où la multiplication des traitements modélisant des scénarios plus ou moins pointus. Mais, même dans un court laps de temps, des variables nouvelles, des perturbations à l’ordre, sont déjà en formation. Un point qui va devenir essentiel pour un ordinateur aussi puissant que Perséus.

Lordi rêvait Expliquons-nous. Dans les années 90, deux ingénieurs d’IBM, Rolf Landauer et Charles Bennet, se penchaient sur la question des coûts énergétiques de l’information. Ils s’interrogeaient sur l’énergie consommée par les temps de traitement d’un ordinateur. En 1996, ils aboutissent à une thèse qui passionnera la communauté scientifique, « la quantité énergétique d’informations nécessaire pour décrire un objet désordonné sera supérieure à celle nécessaire pour décrire un objet ordonné ». Le traitement des informations, même dans un ordinateur, respecte les principes de la thermodynamique. Tout changement d’état dans l’objet observé sera à l’origine de consommation d’énergie. Celle-ci sera d’autant plus conséquente que la description est plus longue parce que le système observé est désordonné. Par voie de conséquence lorsque l’ordinateur de Landauer et de Bennet mesure le « taux d’organisation » d’un ensemble donné[i], « c’est la durée des temps de calculs nécessaires à la description de l’objet » qui va indiquer son niveau d’organisation. Corollaire, moins le système consomme, plus il est simple, voire rudimentaire. Ce que l’on gagne en énergie, on le perd en complexité, « en profondeur d’organisation » pour reprendre la formule des chercheurs. Le processus naturel de la vie des organisations serait de gagner naturellement et très lentement en simplicité organisationnelle afin de réduire leur consommation énergétique. Un processus qui rappelle celui de la recherche permanente de productivité par les entreprises. Les organisations modernes (quelques snobs parlaient « d’entreprise liquide ») doivent être « light » afin de s’adapter à des variations extrêmes de régimes de fonctionnement dues elles mêmes à la versatilité de certains marchés. Elles seront simples, robustes, adaptatives et agiles, afin de disposer de fortes capacités combinatoires. Ces combinaisons peuvent devenir d’autant plus complexes qu’elles se modifient en permanence. Les entreprises inventent de nouvelles structures, de nouvelles formes d’organisation. Par ailleurs, en raison de leur mode virtuel d’organisation en réseaux, elles sont d’une très grande flexibilité combinatoire pour adapter, presque heure par heure, leur chaîne de valeur aux problèmes à résoudre.

Alors que c’est ‘il passé ?! Les données et les conclusions révélées par Landauer et de Bennet ne s’appliquent plus à un ordinateur quantique capable de travailler à la vitesse de la lumière et d’exécuter des traitements alternatifs mettant au défi les logiques traditionnelles. Un ordinateur quantique disposant d’une puissance des millions de fois plus importantes qu’un modèle au silicium est capable de prouesses mémorielles et stochastiques inimaginables à ce jour. La physique quantique présente comme première particularité d’être à la fois « omni dimensionnelle » et « omni temporelle ». L’état théorique postule qu’il existe simultanément dans deux réalités différentes. Les photons d’un ordinateur quantique peuvent « exister » dans un double état. Dans le premier, relevant de la physique des corps, ils deviennent localement et fugitivement observables et utilisables. Dans un second état, ils sont l’expression d’une vibration quantique dont la fréquence de plusieurs millions de fois plus rapide que la lumière mais dans un état dit aléatoire, stochastique.  Dans le domaine des logiques floues et chaotiques, Perséus « rêve » en parallèle dans plusieurs modélisations quasi simultanées, plusieurs solutions au lieu d’une et d’une seule au fil du temps qui passe. On peut comprendre l’émotion et aussi l’intérêt du monde de la recherche pour cette découverte d’un ordinateur qui rêve. Inconsciemment, semble-t-il. Perséus vient de gagner son nom d’ordinateur quantique. Travaillant en plusieurs dimensions, il  exploite et met à jour en permanence les différentes hypothèses auxquelles il est confronté. En sera-t-il conscient un jour ?



 

 

Précédent

Une doctrine « tout câble » imprudente et parfaitement irréaliste

Suivant

Le Gène Dissident facteur clé de l’évolution des organisations

A propos de l'auteur

Denis

Denis Ettighoffer, fana de science-fiction, auteur de « L’entreprise virtuelle », le livre qui l’a fait connaître en 1992 est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Ses contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels sont nombreuses. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Son parcours atypique aura forgé chez lui une pensée singulière. Son dernier livre, « Netbrain, planète numérique, les batailles des Nations savantes » (Dunod) a reçu le prix du livre du Club de l’Economie Numérique en 2008. Denis Ettighoffer un temps Membre correspondant de l’Académie de l’Intelligence économique collabore désormais avec l’équipe d’IDEFFIE (Développement de l’expertise française et francophone à l’international et en Europe ) .

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

cinq + dix-neuf =

Voir aussi

7 − 4 =