L’annonce de l’entrée en bourse de la SEEF (Société d’Exploitation des Eaux Fossiles) a l’occasion du rachat de la majorité de son capital par Exxon Energies a mis le feu aux poudres. Depuis les années 40 cette société qui avait racheté l’invention du Système Watex du français Alain Gachet s’était construit une réputation de spécialiste dans la recherche et l’exploitation des gisements aquifères dans le monde.

Avant d’aller plus loin, rappelons que c’est le français Alain Gachet[1], ingénieur dans le secteur pétrolier, qui en 2013 a découvert en Lybie, à 600 mètres de profondeur, l’énorme gisement d’eau fossile accumulée sous terre depuis 39.000 ans. Durant des années l’ingénieur français a utilisé son expertise pour la recherche d’eau profonde potable en Afrique et au Moyen-Orient. Après la Lybie et son prodigieux projet d’irrigation à 33 milliards de dollars pour faire « fleurir le désert », c’est en Jordanie que le roi Abdallah II a inauguré en 2013 la station de pompage de l’aquifère de Disi. L’eau fossile fournit entre et 20 et 25% des besoins d’un des pays les plus arides du Moyen-Orient. La station de pompage alimente la capitale Amman à 300 km au Nord par un aqueduc capable de livrer 100 millions de m3 par an.

Selon Alain Gachet, les eaux fossiles disponibles représentent ensemble et de très loin le plus important gisement d’eau douce de la planète. Il y aurait plus d’eau douce cachée sous terre que visible dessus, dans les lacs, les cours d’eau, les glaciers. Pour les experts les réserves estimées dans les sous-sols du Sahara septentrional sont énormes. On parle de 31.000 milliards de m3 qui s’étendent sur une surface équivalente à celle de la France. C’est l’un des plus grands systèmes aquifères au monde. Il s’étend sur trois pays : Algérie, Tunisie, Libye, et de l’Atlas saharien Nord jusqu’au Tassili du Hoggar au Sud. Durant des années, les guerres civiles et l’instabilité politique au Kenya[2] puis en Éthiopie, en Irak, Afghanistan et Angola ont rendu difficile l’exploitation de ces gisements. La grande soif qui attend le monde en stress hydrique a créé un marché en or pour les marchands d’eau du XXIe siècle. Une aubaine pour les pétroliers qui, utilisant leurs énormes ressources financières et leurs expertises, sont partis à la conquête du marché de l’eau, de l’eau fossile. La priorité est désormais donnée aux recherches des gisements aquifères dans le monde. Une eau indispensable pour des milliards de gens mais aussi pour humidifier des terres en train de devenir arides avec l’espoir de créer un cercle vertueux favorable à la végétalisation de la Terre.

A la fin des années 40, la SEEF à profitera de la forte demande des régions en déficit hydrique pour se spécialiser dans la recherche et l’exploitation des gisements profonds partout dans le monde allant jusqu’à fournir les infrastructures et les équipements pour traiter les eaux impropres à la consommation très chaudes, parfois salées[3]. Même si l’exploitation des eaux fossiles reste coûteuse et ne peut être considérée comme une solution durable, pour le directeur général de la firme Didier Poincaré, elle peut apporter une aide momentanée aux régions en stress hydrique sévère. La presse généraliste n’en parle guère pourtant ces dernières années on a assisté à une véritable explosion des opérations de recherche et de pompage des eaux fossiles un peu partout dans le monde. Ce qui ne va pas sans poser des problèmes sur les droits d’exploitation de gisements aquifères couvrant plusieurs pays.

Dans un contexte de tensions entre pays du moyen Orient qui se disputent la propriété et l’exploitation du gisement aquifère, l’annonce de la mise en bourse de la SEEF dont la valeur a doublé en moins d’une semaine bouscule les gouvernements. Ils doivent faire face aux populations s’insurgeant contre le risque de voir l’eau soumise à la volonté du système financier et où seul le profit déterminerait ceux qui ont droit ou non à l’accès aux eaux fossiles. Selon les opposants à la financiarisation du marché de l’eau, la Bourse enrichira les pays avantagés par l’existence de nappes hydriques et pénalisera ceux des pays qui n’ont pas les moyens d’investir. D’autres font valoir le risque des guerres de l’eau dont les nappes souterraines couvrent plusieurs pays. Ou commence les « biens communs » ? Ou commence le « bien privé » ? Les Etats face aux marchands d’eau devront résoudre une équation vieille comme le monde.

Denis C. Ettighoffer

Pour en savoir plus : https://infoterre.brgm.fr/rapports/RR-31780-FR.pdf

 

[1] Alain Gachet estime qu’il y a « assez d’eau en Afrique pour transfigurer le visage tout entier du continent, pour reconstruire l’agriculture et redonner dignité et espoir à des millions d’hommes » Alain Gachet lie directement les conflits du Moyen Orient et la crise migratoire du centre Afrique à la désertification du Sahel et au sous-développement agricole qu’elle entraîne.

[2] En 2013, lui et son équipe localisent un lac souterrain de 200 000 000 000 m3 au Kenya, dans le district désertique de Turkana : l’aquifère du Lotikipi qui est l’un des plus grands aquifères connus à ce jour.

[3] Le natron désigne d’abord un minéral, le carbonate de sodium déca-hydraté qui a la propriété, en présence d’eau ou d’humidité, de développer à sa surface le minéral natron (souvent accompagné de diverses impuretés).

Précédent

Sans eau la poussière devient un danger mortel.

Suivant

Le partage des savoirs premier atout de l’Internet

A propos de l'auteur

Denis

Denis Ettighoffer, fana de science-fiction, auteur de « L’entreprise virtuelle », le livre qui l’a fait connaître en 1992 est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Ses contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels sont nombreuses. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Son parcours atypique aura forgé chez lui une pensée singulière. Son dernier livre, « Netbrain, planète numérique, les batailles des Nations savantes » (Dunod) a reçu le prix du livre du Club de l’Economie Numérique en 2008. Denis Ettighoffer un temps Membre correspondant de l’Académie de l’Intelligence économique collabore désormais avec l’équipe d’IDEFFIE (Développement de l’expertise française et francophone à l’international et en Europe ) .

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

7 − 4 =

Voir aussi

2 × 5 =