On pourrait s’étonner de cela. Les personnels des entreprises ne sont généralement pas invités à faire preuve de créativité et d’imagination. Je me souviens des résultats surprenants d’une étude faite avec le concours de l’ISG au début des années 2000. « On attendait dans la majorité des cas un ordre de la direction générale pour « innover ». Surprenant. Pourquoi « l’acte d’inventer », de faire des propositions inventives, a-t-il autant de mal à devenir un acte totalement ordinaire et même rémunéré.

Le vagabondage des savoirs, le nomadisme des pratiques, la pollinisation des idées se heurtent à la crainte de la « contamination » subversive qui transforme services et entreprises en bunkers. Les frontières de l’entreprise ont remplacé les barrières de barbelés des agriculteurs sédentaires pour empêcher les transhumances des éleveurs nomades. L’effort conceptuel à faire est considérable. Attaquée sur ses frontières, l’entreprise s’affaiblit aussi de l’intérieur lorsqu’elle freine les échanges, inhibée par des conditionnements profonds. D’autant plus profonds que certaines entreprises privilégient une organisation sélective qui sépare les individus selon leurs statuts ou leurs castes. Une idée venue d’un cadre y sera plus facilement acceptée que celle d’un ouvrier qui a pourtant une connaissance intime de ses équipements.

Il est frappant de constater que les entreprises les plus modernes se font encore piéger dans l’illusion d’un réseau social, signe d’ouverture et de liberté des échanges, alors qu’en réalité il n’est en fait qu’un « GFA », un Groupe Fermé d’Abonnés où quelques activistes font le spectacle. Le reste des « usagers » passifs, absorbe à leur profit dans le meilleur des cas, les informations mises à leur disposition. Je m’interroge de savoir si ces entreprises ont compris que le monde du travail et désormais majoritairement celui des « mercenaires », nomades savants, capables de fertiliser les activités de leurs employeurs. D’où désormais l’importance pour les animateurs de réseaux d’offrir des challenges motivants, de nouveaux services ou d’investir dans des projets décalés sortant parfois de l’ordinaire afin de contourner les premières réticences. On devient un membre d’une communauté par nécessité, par envie, par désir : on n’est pas membre actif d’une communauté pour regarder passer des trains, fussent-ils virtuels ! Pour l’animal social que nous sommes, le besoin de faire partie d’un « groupe » et d’en être accepté reste viscéral. Il faut garder à l’esprit que ces réseaux deviennent un vecteur de socialisation et d’adhésion à la communauté qu’est l’entreprise. Un besoin d’autant plus impérieux que l’homme se nourrit de ses relations pour évoluer socialement et, culturellement, pour entrer dans des processus d’apprentissage qui lui sont indispensables pour s’adapter. Un point important lorsque l’on sait que la majeure partie des individus a tendance à rester passive faute de se sentir « cooptée » par le groupe. Faire fonctionner une équipe comme si chacun était membre d’un club, pas évident ! Il convient de le faire entrer dans un cercle social qui participe à la dynamique de groupe. Les apports d’idées, qui permettent par exemple à une usine de se moderniser de façon continue, sont la conséquence d’une émulation qui encourage chacun de s’investir. Trop souvent, dans les réseaux d’entreprises, la logique de reconnaissance implicite ou explicite ne fonctionne pas bien. Pourquoi ? Parce qu’il manque le désir d’émulation. Le plaisir de l’échange est d’autant plus intense qu’il se mobilise autour d’un projet qui cristallise les aspirations de l’individu. Encore faut-il que le management ne soit pas stérile et qu’il offre à ses troupes de multiples façons de montrer leurs talents.Le réseau devient un capital de savoirs et de créativité renforçant les liens qui unissent des individus qui s’ignoreraient en d’autres circonstances. Les hiérarchies traditionnelles craignent ces réseaux qui les contournent aisément et portent parfois atteinte à ce qu’ils considèrent comme leur rôle légitime au risque d’éteindre toute innovation un peu, sinon beaucoup dérangeante.

Un réseau dans lequel ne circule aucun projet mobilisateur et valorisant les idées des uns ou des autres n’ira pas bien loin. Parmi les leviers de mobilisation, le besoin d’échanger des idées et des savoirs motive les collaborations les plus intenses. Les communautés du secteur de la santé abordent des sujets extrêmement difficiles comme celui des maladies « orphelines », rares, qui mobilisent chercheurs, médecins et patients afin de tirer le meilleur parti des innovations, des expériences ou de percées médicales significatives. Dans ces communautés, des patients se retrouvent à échanger les informations les plus récentes, les thérapies les plus efficaces ou les protocoles les plus encourageants. Au point que les médecins traitants reconnaissent souvent avoir été informés par leurs patients des dernières découvertes circulant sur la Toile. Il existe ainsi plus de 300 réseaux de santé informels qui bousculent les réticences du corps médical.[1] La motivation des patients ou de leurs familles vient d’un terrible besoin de savoir et de partager leurs inquiétudes et leurs espoirs. Pour cette communauté d’internautes réunissant patients et médecins, le sentiment de l’objectif commun transcende et mobilise pour sauver un malade ou le soutenir. Dans l’Entreprise Virtuelle[2] je raconte le cas de la « Sono mondiale de Digital Equipment » qui met en compétition des projets de chercheurs de l’entreprise et faisant l’objet d’un vote à distance par un jury composé de collaborateurs de la firme. Ces projets cristallisent par affinités d’intérêts des réseaux sociaux parfois éphémères, mais qui peuvent être, un temps, très intenses. C’est comme une conversation qui, à un moment, s’éteint. Aussi contrairement aux réseaux formels, aux communautés professionnelles classiques, les réseaux d’affinités restent extrêmement mouvants et flexibles. Des individus, des talents, se contactent parce qu’ils partagent quelque chose, à un moment précis. Raison supplémentaire pour ne jamais abandonner cette simple idée : créer en permanence des stimulus, des challenges dans ses services. Tous sont encouragés à proposer des projets originaux qui font parler de l’entreprise, plaisent aux clients et donnent un supplément d’âme à la vie dans l’entreprise. Pour plus d’information voir l’Entreprise Relationnelle. Ou encore …

http://parisinnovationreview.com/article/portrait-robot-de-lentreprise-du-futur-durable-dans-linstable

[1] Voir thèse de Cyril Quéméras  www.medicalistes.org/these

[2] Odile Jacob 1992 (page 227) et Éditions d’Organisations 2001

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A propos de l'auteur

Denis

Denis Ettighoffer, fana de science-fiction, auteur de « L’entreprise virtuelle », le livre qui l’a fait connaître en 1992 est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Ses contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels sont nombreuses. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Son parcours atypique aura forgé chez lui une pensée singulière. Son dernier livre, « Netbrain, planète numérique, les batailles des Nations savantes » (Dunod) a reçu le prix du livre du Club de l’Economie Numérique en 2008. Denis Ettighoffer un temps Membre correspondant de l’Académie de l’Intelligence économique collabore désormais avec l’équipe d’IDEFFIE (Développement de l’expertise française et francophone à l’international et en Europe ) .

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