Méta-organisation » La concurrence du futur s’établira sur la compétitivité comparée des modèles organisationnels » – Denis ETTIGHOFFER poursuit ses réflexions sur la transformation des modes du travail et « l’entreprise virtuelle » en analysant l’évolution de ses modèles d’organisation. Pour lui, les entreprises qui feront la différence seront celles joueront le jeu de la coopération.
Dirigeant : Quelles sont les évolutions marquantes du paysage économique ?
Denis Ettighoffer : La croissance de la Netéconomie est essentiellement due aux gains de productivité rendus possible par le renforcement des modes coopératifs entre les organisations les plus diverses. Depuis 1992, ces gains ont crût de façon extraordinaire aux USA par l’alliance d’entreprises, l es « clusters companies »: c’est là que se trouvent les gisements de productivité promis par les investissements informatiques et que tout le monde cherchait. C’est la fin des effets frontières qui affectent tous les acteurs économiques qui découvrent les impacts concrets de l’interdépendance dans leur chaîne de la valeur.
Dir : Comment cela se traduit-il au niveau des formes d’organisation ?
D.E. : Avec le développement des co-entreprises nous assistons à la constitution de chaînes d’organisations, de Méta-organisation qui ont des modes de structurations spécifiques. Schématiquement deux aventures s’offrent aux entreprises. Soit elles vont construire de la valeur ajoutée en se combinant avec d’autres entreprises, ce sont des méta-entreprises- pour créer de nouveaux produits et services, attaquer de nouveaux marchés. Elles sont dans une relation fortement collaboratrice et faiblement intégratrice. C’est l’exemple de PSA qui préfère développer les collaborations plutôt qu’intégrer ses sous-traitants. Soit, elles vont s’organiser en une chaîne systémique, ce sont alors des méta-réseaux, où elles sont soumises les unes aux autres mais elles y gagnent en hyperproductivité. Dans ces méta-réseaux, la collaboration se fait « sous contrainte » et l’intégration peut y être très forte. Toutes ces entreprises utilisent les télécommunications pour réduire leurs coûts de coordination, travaillent en flux tendus, mettent en commun la gestion de leurs opérations. C’est l’exemple de l’industrie textile qui mise sur le co-développement pour résister aux faibles coûts de la main d’œuvre asiatique.
Dir : Les PME, les petites entreprises sont-elles concernées ?
DE : Nous avons pris l’habitude de raisonner en termes de grandes, petites ou moyennes entreprises. il faudrait aujourd’hui parler en termes de grappes ou de chaînes d’entreprises. Conséquence de la montée de l’immatériel, de l’accélération et la mondialisation des échanges, les entreprises doivent sortir de la logique économique classique et faire appel les unes aux autres pour se développer, s’appuyer sur des réseaux pour multiplier les partenariats. Nous allons vers la constitution de Méta-organisation.
Les grappes d’entreprise se sont multipliées par 10 en 15 ans et représentent aujourd’hui 37 % de l’emploi. Les sociétés qui utilisent internet ont une croissance supérieure aux autres. Une enquête de l’Insee montre que les entreprises isolées ont perdu, entre 1984 et 1992, 270 000 emplois alors que dans le même temps les grappes d’entreprises en ont créé plus de 300 000. Ils existaient en 1980, 600 de ces grappes, elles sont aujourd’hui 6700 représentants plus de 20 000 entreprises. Ces chiffres démontrent que méta-entreprises ou méta-réseaux sont bien les modèles d’organisation du futur dans lesquels les entreprises doivent s’inscrire aujourd’hui avec détermination. Les entreprises les plus avisées feront sans doute cohabiter les deux modèles, alliant co-développement, co-production et co-distribution. Toutes les entreprises doivent se poser cette question : qu’elle est notre capacité à créer des réseaux relationnels pour faire des affaires ensemble ? Ce que les anglo-saxons nomment le « cooperative business ». Il faut que les entreprises, quelle que soit leur taille, comprennent que l’enjeu n’est plus seulement de faire la différence par l’innovation des produits ou des technologies mais par le modèle d’organisation : par leur capacité à se combiner avec d’autres pour créer de la valeur. La concurrence du futur s’établira sur la compétitivité des modèles organisationnels. Et les PME sont en première ligne, les premières concernées.
Dir : Les entreprises françaises sont-elles prêtes pour l’économie de réseau ?
DE : Le vieil adage « l’union fait la force » est plus que jamais d’actualité. Il y a une réelle résistance culturelle latine à collaborer avec d’autres. Notre vision tribale nous pose des difficultés quand il s’agit d’imaginer la co-entreprise, de comprendre que nous sommes plus intelligents avec d’autres que seul, que nous pouvons ainsi faire d’importantes économies de moyens et d’argent. Il existe des Méta-organisation en France, dans le domaine des transports, dans la gestion de réseaux comptables par exemple, avec la création de plates-formes communes de services. Que l’on opte pour une forme ou l’autre, pour construire un réseau d’affaires type de type méta-entreprise ou pour réaliser des gains de productivité à plusieurs dans un méta-réseau, il faut s’associer. Celles qui ne trouveront pas à s’associer, à se combiner pour faire des gains de productivité ou lancer de nouveaux produits disparaîtront car les autres disposeront d’une chaîne de la valeur plus performante.
Dir : Quelles sont les implications pour les managers et leurs collaborateurs ?
DE : Ces nouvelles organisations impliquent bien sûr de repenser le management. Il faut choisir comment on distribue les marges, comment on fixe le prix d’un produit mais aussi qui commande. Les entreprises se structurent en fonction des problèmes rencontrés, en filières de compétences. Le management fédéré répond à ce phénomène de polyactivité demandée aux organisations comme aux employés. C’est une forme d’organisation mercenaire. Le mot clé est : subsidiarité. Dans les organisations virtuelles, on utilise les compétences mais aussi les ressources les plus diverses à façon. Aussi, ceux qui considèrent encore l’entreprise comme une enceinte sacrée ou ceux qui ont un ego très fort vivent difficilement cette métamorphose. Ils devront accepter d’être le maillon d’une chaîne de la valeur et de se fondre dans une communauté professionnelle. L’orientation est à l’intégration du marché et du client dans cette chaîne et non plus à l’égotisme. Aussi est-ce autant une révolution mentale qu’économique que nous vivrons avec le développement des Métaorganisations.
Entretien début des années 2000 – Denis Ettighoffer est conseil en management et Président fondateur d’Eurotechnopolis Institut, lieu d’échanges entre de multiples acteurs socio-professionnels et économiques européens sur les impacts des NTIC. Il est l’auteur, notamment, de « l’Entreprise virtuelle ou les nouveaux modes de travail » aux éditions Odile Jacob, 1992. En avril 2000, il sort son nouveau livre « Métaorganisations, les modèles d’entreprises créateurs de valeur », aux éditions Village mondial. Ecrit en partenariat avec Pierre Van Beneden, vice-président de Lotus Word.