L’utilisation croissante de la créativité des personnels ne manque pas de poser la question de savoir s’il faut récompenser et comment ? Quelques sociétés incluent un programme de récompense dans leur système de gestion d’idées. Sur la base Innovaccor du groupe Accor, sur plus de 10 000 propositions d’idées, 33% ont été récompensées et mises en place. Le salarié qui voit son idée mise en œuvre reçoit une récompense allant de 1 à 60 points (1 point équivaut à 1 heure de salaire du pays). Parmi elles, une centaine de bonnes pratiques sont consultables en sept langues sur le site. Un directeur adjoint d’un hôtel Ibis a eu l’idée de faire éteindre les télés par les femmes de ménage lorsqu’elles font les chambres. L’idée a été estimée génératrice d’une économie potentielle de 300 000 euros /an. Un autre Ibis en Allemagne, en relation avec ses équipes marketing, a proposé à ses clients de jouer le prix de leur chambre aux dés. Cette initiative, limitée dans le temps, avait pour objectif d’accroître la notoriété d’Ibis en Allemagne. Très médiatisée, l’opération a permis à la marque d’enregistrer une hausse de 17% de son taux d’occupation en avril 2003[1].

Les employés qui contribuent à de nouvelles idées peuvent gagner des points récompense semblables aux programmes de fidélisation d’une compagnie aérienne pour ses clients. Ce qui contribue à la fidélité du personnel et au développement de leur carrière. Par exemple, deux ouvriers d’usine de Cadbury-Schweppes ont inventé tant de bonnes idées, que l’un a été promu à la gestion des projets et le second est devenu directeur d’ingénierie. Michel Michalko dans Selling Power, fait quelques suggestions intéressantes relativement à la considération que doit avoir tout dirigeant vis à vis des apporteurs d’idées : Envoi d’une carte de visite du dirigeant avec ses remerciements pour la suggestion retenue ou proposée, accompagné de billets de loteries instantanées ou différemment par des places de théâtre, ou pour des manifestations sportives. Mike propose aussi d’offrir une voiture en location pour un week-end, des bons d’achats, etc. Et pourquoi ne pas permettre à l’apporteur d’idée de faire partie d’un voyage dans un colloque ou un séminaire à la place d’un cadre pas forcément méritant. A la lecture de toutes ses suggestions on ne peut s’empêcher de penser à cette phrase d’un grand manager : « traitez vos employés comme vos clients, c’est payant ».

Mais l’irruption des idées des employés donne parfois lieu à des situations cocasses. Anne Fisher raconte dans Fortune comment le dirigeant d’une société européenne d’équipements sans fil a refusé une modification améliorant la performance de son logiciel de facturation. Cela aurait entrainé le paiement d’un trop gros chèque de récompense pour son employé. Anne Fisher pense que le patron ne voulait pas non plus reconnaître l’erreur trouvée par son employé dans la conception de son produit. Nous n’avons pas pu en savoir plus. Cette anecdote illustre la crainte de quelques dirigeants qui préfèrent perdre de l’argent plutôt que de reconnaître qu’un humble collaborateur puisse avoir une idée qu’eux même n’ont pas eux. Cela reste question délicate que celle des récompenses. Un pétrolier a lancé un processus d’idéation de six semaines pour rassembler des idées dans une de ses divisions à l’étranger. L’événement a été conjointement organisé par un manager d’innovation du siège et un responsable d’une agence locale à l’étranger qui a développé une campagne de communication pour soutenir l’initiative. Le programme offrait 1000$ pour toute idée majeure. Une récompense énorme pour un employé ressortissant de pays étrangers. La société a reçu environ 100 idées dont un certain nombre excellentes. Les problèmes ont surgi plus tard lorsque l’on s’est aperçu qu’un des gagnants était indonésien. Alors, la société a offert des prix très inférieurs lors d’une seconde campagne. Pour le coup les intervenants n’ont pas été légion.

imgPM168Face à ces pièges, l’idée de se faire aider par des consultants spécialisés fait désormais son chemin. Une démarche pas évidente car les experts de l’entreprise tout comme les cadres considèrent en savoir plus sur leurs produits et leurs marchés que tout intervenant extérieur. Ce qui est sans doute vrai : par contre, ces experts et cadres ne connaissent pas et ne maitrisent pas les méthodes et les outils pouvant être utilisés dans l’accompagnement à leur démarche innovante et la valorisation éventuelle de leurs actifs immatériels. Une enquête commandée par Oséo en mai 2005 auprès de 1000 PME françaises révèle que 56% d’entre-elles ont une ou plusieurs idées innovantes en attente de réalisation. Mais seules 8% se déclarent organisées pour innover de manière régulière. En d’autres termes, la majeure partie de nos entreprises ne savent pas ou non pas les moyens de passer de l’idée à l’action. Pourquoi ? Parce qu’elles n’ont pas de temps pour se concentrer sur le projet à 59%, par le déficit des compétences ad’ hoc pour 25% et par manque de ressources financières pour 39%. Nos entreprises ont des idées, mais elles ne sont pas organisées ni ne savent vraiment comment s’y prendre pour valoriser correctement leur savoir faire. L’investissement paraît pourtant bien négligeable, lorsque l’on constate les ROI correspondant à la plupart des démarches pouvant être connues.

Ceci dit, il reste l’essentiel. La rémunération des salariés pour leurs activités inventives. Au moment où l’économie de l’intelligence transformatrice modifie profondément les facteurs de production, la matière grise incarnée par des hommes qui travaillent en relation étroite grâce aux réseaux électroniques est devenue le capital d’une entreprise comme d’une nation moderne. Faute d’une vision contemporaine du travail, les salariés sont prisonniers dans le dilemme historique du conflit entre travail et capital. Résultat : dans les modèles économiques, le coût horaire du travail de production tient le rôle de variable incontournable qui guide la politique de l’emploi, alors qu’il devient secondaire pour toutes sortes de raisons dans un nombre croissant de secteurs d’activités. Dans un monde du « clic et du mortar », du matériel et de l’immatériel, deux contraintes économiques paradoxales cohabitent. Il s’agit d’une part de réduire le coût de travail sans diminuer les revenus pour les activités dont les salaires sont proportionnels au temps de travail, puis d’autre part, de rémunérer correctement les individus capables de favoriser par leur inventivité la création d’activités à forte valeur ajoutée[3]. Dans cette perspective de plus en plus d’entreprises devront considérer que les découvertes et les idées de leurs salariés méritent récompense. Les royalties tirées de droit de copyright commencent à être utilisées dans certains cas pour récompenser des salariés – ou non – participant à des activités éditoriales dans des secteurs les plus divers (publicité, logos, annonces, publications, sites internet, animation de forums, logiciels…). Bien qu’une majorité d’entreprises n’est pas encore mis à jour leur contrat de travail, le phénomène se généralisera dans les années à venir car il permet d’améliorer les rémunérations sans augmenter les charges sociales.

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A propos de l'auteur

Denis

Denis Ettighoffer, fana de science-fiction, auteur de « L’entreprise virtuelle », le livre qui l’a fait connaître en 1992 est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Ses contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels sont nombreuses. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Son parcours atypique aura forgé chez lui une pensée singulière. Son dernier livre, « Netbrain, planète numérique, les batailles des Nations savantes » (Dunod) a reçu le prix du livre du Club de l’Economie Numérique en 2008. Denis Ettighoffer un temps Membre correspondant de l’Académie de l’Intelligence économique collabore désormais avec l’équipe d’IDEFFIE (Développement de l’expertise française et francophone à l’international et en Europe ) .

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