Le fun est un mot difficile à traduire en français : ambiance, rire, détente ou rigolade ? Un peu de ce mélange sans doute. Le fun joue dans l’entreprise un rôle équivalent au sexe dans les familles coincées. On sait qu’il existe. Qu’il faut faire avec. Et que lorsqu’on en parle, il faut avoir l’air de trouver ça formidable… en y touchant le moins possible. Voilà pourquoi on s’e… dans une majeure partie des entreprises françaises… qui seraient bien avisées d’investir sur ce bien très immatériel et très précieux, l’ambiance, le rire. Le meilleur remède connu contre l’angoisse et le stress. Lorsqu’il n’est pas un mot vide de sens, le fun est un formidable levier pour travailler et vivre ensemble. Certes, une entreprise ne doit pas se prendre pour le Disney Club, mais à force d’en rajouter dans la gestion « jugulaire-jugulaire », on se trouve devant des situations burlesques.
En 1988, une société de services n’ayant pu se développer de façon satisfaisante et désireuse de préserver le ratio chiffre d’affaires/salariés, engage une procédure d’évaluation de fin d’année féroce pour les cadres n’ayant pas atteint leurs objectifs. Deux d’entre eux se sentant injustement évalués demandent à la direction générale de revoir leur copie. Refus de cette dernière. Les deux compères, qui ont aujourd’hui des postes importants, démissionnent. Le problème est qu’ils avaient à eux deux, grâce à leur dévouement, leur humour et leur gentillesse, constitué une excellente animation du service dans lequel ils travaillaient. Ce dernier devra être refondu complètement deux ans plus tard, faute de pouvoir retrouver l’ambiance de travail qu’ils avaient su créer. Combien coûte une ambiance de travail pour un contrôleur de gestion ? Le fun des managers semble avoir surtout disparu avec l’éradication des coûts inutiles. Comme le dit la chanson : « J’ai perdu l’humour depuis que j’ai acquis le sens des affaires[1]. » Aujourd’hui, on chercherait en vain ces profils dans les bureaux de bon nombre d’entreprises. Ce qui donne raison à cet homme qui constatait : « On ne fait plus beaucoup de pots au bureau. Qui a envie d’embrasser un ordinateur ? » La propension de certaines compagnies à privilégier les résultats individuels fait qu’elles se sont séparées de certains hommes peut-être moins doués que d’autres pour faire du chiffre ou pour abattre une besogne irréprochable mais capables de mettre une ambiance formidable. Sérieusement.
La crise de l’entreprise française serait-elle due à sa culture de la tristesse et du catastrophisme dans ses états-majors ? Rire de soi alors que l’on manque de recul n’est pas toujours facile. Fréquemment, on se trouve trop immergé dans un problème pour y trouver quelque drôlerie. Rechercher la fréquentation de gens qui ont un flair particulier pour déceler le côté drôle d’une situation, utiliser ce talent pour parvenir à en rire apporte souvent une aide appréciable. Quel meilleur remède que cette capacité à se moquer de soi ? Comme cet homme toujours pressé qui constatait, laconique : « Si je n’arrive pas à l’heure chez mon psy, il commence sans moi ! » Pourquoi l’humour ne servirait-il pas d’antidote au stress ou à un état de dépression collectif ? L’humour est une qualité de perception qui fait ressentir de la joie même lorsqu’on se trouve face à l’adversité. Trouver de l’humour dans une situation et en rire librement avec d’autres personnes agit souvent comme un puissant antidote au stress en permettant de relâcher la tension. En 1979, Norman Cousins a attiré l’attention de la communauté médicale sur les effets thérapeutiques potentiels de l’humour et du rire lorsqu’il décrivit l’utilisation du rire au cours d’un traitement de la spondylite ankylosante, une inflammation des vertèbres[2]. Pensant que les émotions négatives avaient un impact négatif sur la santé, il a émis l’hypothèse que le contraire devait être vrai, que les émotions positives auraient un effet positif. Il passa la fin de sa vie à explorer les preuves scientifiques de son hypothèse et créa la Humor Research Task Force pour coordonner et soutenir la recherche clinique sur l’humour dans le monde entier. Des preuves existent maintenant pour affirmer que le rire crée des effets opposés à ceux du stress. Il apparaît comme l’antidote parfait. Le rire abaisse les niveaux d’hydrocortisone dans le sang, augmente la quantité de lymphocytes T actifs, augmente le nombre et l’activité des cellules tueuses naturelles et le nombre de cellules T qui peuvent aider ou supprimer les récepteurs. En bref, le rire stimule le système immunitaire et réduit les effets immunodépressifs du stress. Cette recherche fait partie d’un domaine en expansion rapide de la psycho-neuro-immunologie, qui définit les liens entre l’expérience émotionnelle et la réponse immunitaire transmise par le système neurologique. Comme aime le dire le comique Bill Crosby, « si vous pouvez en rire, alors vous pourrez y survivre ».
Extrait de « Du Mal travailler au mal Vivre » Eyrolles. 2003
[1] « Le blues du businessman », extrait de la comédie musicale Starmania.
[2] Norman Cousins, Anatomy of an Illness, New York, W. W. Norton, 1979 et Head First. The Biology of Hope, New York, Dutton, 1989.