Des PME françaises sous-traitent en Tunisie, en Roumanie, en Asie. Et elles ont raison. Imagine-t-on un instant et sérieusement que regrouper quelques entreprises dans une zone « protégée » par un peu de poudre de perlimpinpin fiscale va changer quelque chose à notre situation?

La décision de constituer des « zones franches » comme il y a eu, en d’autres temps, des « zones défavorisées » est consternante. Consternation de constater que nous en restons à des réflexes de repli dans des bastions financés par l’argent de contribuables. Contribuables qui ont le mauvais goût d’acheter des produits bons marchés venus des pays en développement. Où veut-on en venir ? Cela empêchera t-il les échanges mondiaux au bénéfice des moins disant ? Soyons lucides. Les pouvoirs publics resteront impuissants face à l’appât des gains qu’autorisent les belles marges du commerce mondial. Bref, la zone… pour les tenants de cette politique de repli, ça reste l’hexagone, au moins ! Peut-on impunément dramatiser les délocalisations ? Il serait peut-être utile de rappeler que bien des « délocalisations » recouvrent des stratégies de modification de la constitution des coûts indispensables (on y achète des composants meilleurs marchés) pour préserver la pérennité de l’entreprise, mais elles sont aussi l’occasion d’un redéploiement d’activités auprès de marchés nouveaux, émergeants. Ces réorganisations, incluant nombre de partenariats avec des locaux, constituent des grappes d’entreprises en réseaux qui intensifient leurs échanges marchands entre elles. Résultat : on peut considérer ces « externalités » comme des comptoirs de représentation qui servent de point d’ancrage local à des développements dont les bénéfices remontent le long des chaînes de la valeur de ces groupes industriels dont le siège social reste en France. Au début des années 90, ces échanges intragroupes d’origines françaises étaient en excédent pour 60% entre importations et exportations entre groupes industriels. Soit un solde favorable de 21,190 milliards d’euros (139 milliards de francs). Et la situation ne s’est pas dégradée. En 1999, 41% des exportations (contre 34% en 1993) et 36 % des importations françaises de produits industriels (contre 18% en 1993) sont des échanges avec des entreprises localisées dans plusieurs pays, mais appartenant au même groupe industriel. S’implanter à l’étranger en intégrant l’industrie locale permet aux groupes de PME françaises de conforter leur position commerciale à partir de leur base nationale (1). La part de ces échanges en grappes a beaucoup augmenté ces dernières années illustrant une intégration progressive des industries françaises dans le commerce mondial.

Economie du lien collaborativePartout dans le monde, des entreprises guignent les formidables marchés que représentent l’Europe et l’Amérique. Et la bataille s’est déplacée car nous ne pouvons plus compter sur la productivité du travail, ni même du capital, pour faire la différence. Nous sommes désormais dans un monde qui est passé du « travail sans frontières aux frontières du savoir ». L’économie du futur s’installe dans les réseaux de compétences des filières professionnelles. La puissance économique du 21e siècle se constitue au travers de la robustesse de réseaux d’affaires et de compétences fédérées. Avec l’accélération du cycle schumpétérien de création/destruction d’activités, la productivité des échanges d’idées et de connaissances est, après celle du travail et du capital, le véritable enjeu des économies avancées. Lorsque l’on a conscience que plus de 70% du chiffre d’affaires des entreprises est réalisé avec des produits qui n’existaient pas il y a cinq ans, que 80% des références introduites dans la grande distribution ont une durée de vie d’environ 12 mois, on comprend qu’il n’y a pas que l’industrie automobile qui doit raccourcir ses cycles de « conception/mise sur la marché ». Ce n’est pas en constituant des « Bantoustans de l’économie » que l’on pourra développer nos entreprises, mais en constituant des « réseaux de centres d’excellence » thématiques. L’idée générale consistant à fédérer les différents maillons d’une chaîne professionnelle pour améliorer le fonctionnement des interfaces mais surtout pour favoriser et intensifier les échanges de connaissances.

Les Canadiens l’ont compris. Lancés dès 1997, les « Réseaux de Centres d’Excellence » (2) regroupent 20 réseaux spécialisés dans des domaines comme les technologies de l’information, la télé-enseignement, la technologie du béton, la pâte à bois, la robotique et l’ingénierie des protéines ainsi que les problèmes de gestion des ressources naturelles. Ils relient 48 universités, 37 hôpitaux, 76 organismes gouvernementaux, 65 instituts de recherches et 405 entreprises. En 2003, l’emploi dans l’ensemble des réseaux représentait 6500 professionnels dont 1400 professeurs et étudiants pour 22 RCE. Ils ont déposé 179 brevets et plus de 100 licences. Et surtout, ils ont décloisonné et dynamisé un nombre croissant d’acteurs divers qui ont découvert que l’on pouvait créer des chaînons manquants (des entreprises et des emplois) en conciliant la recherche avec les affaires. Ils ont ainsi généré 109 sociétés par essaimage. L’enjeu est de rompre l’isolement des PME face à l’internationalisation des marchés. La réponse moderne au problème des délocalisations consiste à transformer une attitude défensive en opportunité offensive de pénétration de marchés nouveaux. Par l’encouragement à faire croître les grappes d’entreprises qui se fédèrent à partir de leurs pays d’origines pour s’implanter à l’international. Cela signifie pour le gouvernement qu’il lui faut encourager les grandes entreprises et les collectivités territoriales (mais oui !) à parrainer des réseaux d’excellence qui s’installent en territoires « étrangers » comme le faisait autrefois les bourgeois de St Malo lorsqu’ils finançaient les bateaux de commerce qui s’aventuraient « en Indes ». Nous devons adapter et promouvoir des incitations fiscales afin d’encourager les collaborations entre entreprises qui favorisent des implantations à l’étranger. Multiplier les plateformes et les réseaux de services dédiés à l’e.collaboration associant recherche, universités et entreprises dans des communautés professionnelles spécialisées (Les futurs réseaux savants évoqués dans Netbrain). Au final, soutenir les réseaux d’excellence professionnelle revient à soutenir des leviers économiques du développement durable et la présence française dans les réseaux d’affaires internationaux.

La Lettre d’Eurotechnopolis Institut, Novembre 2004 Denis Ettighoffer

(1) : « Les Echanges intragroupes dans la mondialisation », Ministère de l’Industrie, Sessi (20 avenue de Ségur, 75353 Paris) (2) : http://www.nce.gc.ca/indexfr.htm

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A propos de l'auteur

Denis

Denis Ettighoffer, fana de science-fiction, auteur de « L’entreprise virtuelle », le livre qui l’a fait connaître en 1992 est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Ses contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels sont nombreuses. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Son parcours atypique aura forgé chez lui une pensée singulière. Son dernier livre, « Netbrain, planète numérique, les batailles des Nations savantes » (Dunod) a reçu le prix du livre du Club de l’Economie Numérique en 2008. Denis Ettighoffer un temps Membre correspondant de l’Académie de l’Intelligence économique collabore désormais avec l’équipe d’IDEFFIE (Développement de l’expertise française et francophone à l’international et en Europe ) .

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