Marin Mersenne (1588-1648) fut un des plus grands médiateurs des savoirs de l’histoire. Né d’une famille paysanne, formé par l’ordre franciscain, il s’installera à Paris au couvent des Minimes, proche à l’époque de la place des Vosges. Bien que voyageant très peu, Marin Mersenne va contribuer à faire de Paris un des foyers de la vie scientifique française et le centre intellectuel de l’Europe. Il va devenir la clé de voûte d’un immense réseau d’échanges scientifiques. Ses conférences réunissent à Paris les esprits les plus curieux et les plus originaux de son époque, Pierre Gassendi, Descartes, Pascal relayés par des correspondances qui reliaient les intellectuels et les chercheurs de plusieurs nations. Sa grande qualité était de pouvoir faire cohabiter des scientifiques qui pouvaient défendre des idées très divergentes en se gardant de prendre partie et en ne servant que d’intermédiaire entre des courants de pensées parfois très opposés. Ce rôle de relais lui permettait de faire passer en Angleterre une série de travaux développés en Italie ou inversement. Il fut un formidable contributeur à la recherche scientifique de son époque notamment mathématique. Un jour il communiquait des informations sur les études des systèmes de mesures en Italie et un autre il faisait parvenir à l’un de ses correspondants les dernières recherches sur les pyramides d’Egypte. Mersenne fut un formidable propagateur des innovations et inventions qui ici ou là dans le monde pouvait intéresser ses correspondants. Ses initiatives allaient jusqu’à favoriser les échanges d’ouvrages et de traités scientifiques édités un peu partout en Europe. Le rayonnement de Paris de l’époque lui doit beaucoup alors qu’elle reste une ville de congrès scientifique mondial encore reconnue aujourd’hui. Pas une sommité scientifique qui ne lui fasse visite lors d’un passage dans la capitale française. Bien sur les échanges ne sont pas toujours aussi sereins : Voltaire toujours mauvais coucheur se plaignait des sollicitations de Mersenne qui faisaient part à ses relais anglais des différentes approches des français en matière de transfusion sanguine qui inspira leur médecine. L’influence de Mersenne sur les communautés scientifiques n’échappa pas aux hommes de pouvoir, tel Richelieu qui encouragea en 1635, Henri-Louis Habert de Montmort à créer une académie concurrente à celle de Mersenne.

Mais le succès et la notoriété grandissante de la démarche de Mersenne donnera des idées à d’autres pays qui s’avisèrent de constituer des académies scientifiques afin d’attirer à leur tour les meilleures savoirs, les plus beaux talents. Il sera indirectement à l’origine du fameux « collège invisible » qui servira de fondement à la création de la Royal Society. A l’origine un collège informel de savants de toutes origines et de riches lettrés animé par Robert Boyle en Angleterre. Un autre médiateur scientifique lui emboitera le pas : Henry Oldenburg, extraordinairement doué pour les langues. Originaire de Brême, il se fit l’ambassadeur de la création des communautés scientifiques après qu’il eut la chance de rencontrer en Angleterre la propre sœur de Robert Boyle, Lady Ranelagh. Son frère, lord Ranelagh va être entraîné par Oldenburg dans les réunions comme celles organisées par Habert de Montmort en France. La puissance des concepts et des problèmes nouveaux qui se posent à l’univers déjà connu enflamment les esprits. Les centres des communautés scientifiques s’organisent afin de gagner en notoriété et pour attirer – déjà – les plus grands esprits. De la même façon que les communautés virtuelles d’aujourd’hui des « collèges invisibles » associant chercheurs, penseurs et intellectuels de toutes sortes se constituèrent sous l’impulsion d’hommes politiques[1]. C’est ainsi que la 28 novembre 1660, quelques années après la mort de Martin Mersenne, le roi d’Angleterre réunit un groupe de savants pour lancer la Royal Society. Oldenburg, à l’exemple de Mersenne, fut un infatigable animateur et surtout un formidable promoteur de la généralisation de la fertilisation des idées à tous les niveaux de la société anglaise. On pouvait y exposer des questions d’ordre arboricole, échanger les meilleures pratiques pour fabriquer du cidre ou pour se défendre des maladies agricoles. Astronomie, biologie, géologie, les correspondances échangées un peu partout dans le monde aboutissaient à un moment ou à un autre à la Royal Society. Ces correspondances avaient par ailleurs l’avantage sur les livres d’être plus simples et faciles à suivre et de pouvoir échapper à la censure de pays souvent en conflits. Afin de garder actives ses sources, Oldenburg n’hésitait pas à relancer ses contacts susceptibles de détenir ou de pouvoir lui fournir une information scientifique. Son activisme permis que soit connu et diffusé, par exemple, les travaux de Johann Hevelius, brasseur de son métier, sur les éclipses du soleil. Cet homme avait fait construire à ses frais un observatoire et édité une carte de la lune. En contrepartie de cet échange Oldenburg pu faire parvenir à Helvelius des lentilles spéciales pour son observatoire.  Mais, alors que les initiatives se multipliaient afin d’élargir et de « vulgariser » la science, les cercles scientifiques subissaient la pression d’un nationalisme exacerbé. Sous prétexte de sécurité nationale, les échanges se tarissaient sous l’influence de la militarisation des connaissances. Oldenburg, d’origine allemande, eut l’audace de créer un service d’échange de courriers par la valise diplomatique. Ce qui était loin d’être neutre vis à vis du pouvoir politique qui s’avisait de l’importance stratégique des connaissances et qui n’hésita pas à l’emprisonner à Londres. Les grandes écoles se renfermaient sur elles mêmes, les entreprises devenaient des champions nationaux et les espaces de savoir investis par les connaissances guerrières : La R&D comme les innovations passait dans le giron des armées dans la plupart des pays. L’industrialisation cavalait à toute allure. La concurrence entre nations et ses champions qu’étaient les manufactures s’exacerbait. Chacun des pays enferma la matière grise devenu ressource stratégique. Le modèle nationaliste de la science prenait la main. Le ciel nous préparait les guerres où chaque nation pu tester ses capacités d’innovation à massacrer ses semblables. Aujourd’hui, et pour d’autres raisons, les nations sont en train de militariser les réseaux d’information devenus stratégiques. Ils sont – faut-il le rappeler à ceux qui ne cessent de les diaboliser ? – devenus des vecteurs d’échange de connaissances, sources de bien être social et levier de l’économie numérique mondiale.


[1] On y trouvera les communautés constituées par les Francs Maçons

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A propos de l'auteur

Denis

Denis Ettighoffer, fana de science-fiction, auteur de « L’entreprise virtuelle », le livre qui l’a fait connaître en 1992 est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Ses contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels sont nombreuses. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Son parcours atypique aura forgé chez lui une pensée singulière. Son dernier livre, « Netbrain, planète numérique, les batailles des Nations savantes » (Dunod) a reçu le prix du livre du Club de l’Economie Numérique en 2008. Denis Ettighoffer un temps Membre correspondant de l’Académie de l’Intelligence économique collabore désormais avec l’équipe d’IDEFFIE (Développement de l’expertise française et francophone à l’international et en Europe ) .

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