Sans doute le stress n’a-t-il plus de secret pour vous. Ce sujet fait l’objet d’une multitude d’ouvrages et d’articles généralement de peu de secours pour les intéressés. Mais ici, il s’agit d’un stress dont on parle justement peu : le stress administratif. Les errements des organisations sanitaires et leurs complexités incompréhensibles, inutiles, les difficultés de leurs salariés dans embrouillamini de procédures procédurière, m’incitent à revenir sur un sujet toujours, hélas, d’actualité. Novembre 2018.

Comme pour le stress au travail, son origine tient à la multiplication des sollicitations, des dérangements, des relances inutiles et tatillonnes engendrées par l’administration que le citoyen, le travailleur indépendant, l’entreprise doivent supporter. Ceci d’ailleurs en y passant un temps toujours trop long. Le harcèlement administratif peut être indifféremment le fait d’un programme informatique mal ficelé ou le fait d’un employé ou d’une organisation qui « se couvrent » exagérément ou qui, tout simplement, n’ont rien d’autre à faire qu’inventer des procédures imaginatives. La numérisation des actes les plus divers a donné de l’imagination à beaucoup. Chacun connaît la « pièce surprise… qui manque ». La vie, dite moderne, s’est accompagnée d’une formidable inflation des actes de gestion familiale et professionnelle les plus divers. Un véritable calvaire pour les familles souvent mal armées pour faire face à une administration toute puissante, pas toujours serviable. Et si, par chance, vous tombez sur un employé généreux de son temps, il devient vite incapable de vous aider car lui-même est encadré et enfermé dans des normes et des procédures contraignantes – qui lui échappent généralement – où on ne lui laisse guère de liberté pour résoudre un problème qui est supposé, dans les sphères pensantes, avoir été prévu. Ce qui est faux, évidement.

Ainsi au Pôle Emploi. Le chef d’entreprise envoyait autrefois ses demandes à l’ANPE qui l’exploitait dans ses fiches. Avant l’ère du « do it yourself » (1), le conseiller recevait et consultait la fiche qui pouvait lui permettre d’orienter un demandeur vers une offre d’emploi à laquelle il n’aurait pas songé. Maintenant, l’employeur s’inscrit dans une base de données et vogue la galère, son offre n’existera que s’il y a une demande du chômeur explicite et correctement ciblée par des mots clés, à défaut, elle ne viendra jamais sur le tapis, pardon… à l’écran que consulte le demandeur d’emploi ! Côté chômeur, ce n’est pas mieux. L’administration, n’informe pas toujours correctement, ni ne prévient des changements dans ses règles. Le naïf découvre à la dernière minute – pour d’obscures raisons dont on s’est bien gardé de l’informer- qu’il a été rayé des listes des demandeurs d’emplois. Néanmoins, il comprend -le malheureux- qu’il ne touchera ses indemnités qu’après un âpre combat contre l’administration.

Notre pays n’a de cesse de multiplier des lois et des règles destinées à encadrer tous les actes les plus ordinaires de notre vie quotidienne ce qui en a fait un pays rêvé pour la chicane et le harassement administratif. Un journaliste qui parlait lui, de fatigue administrative évoquait la pression administrative. « Les règles, les exigences de contrôle, les taux de TVA ou de charges sociales n’ont cessé de varier, de se complexifier, et d’augmenter, au fil des années. J’ai ainsi été soumis à plusieurs taux de TVA différents. La CRDS est venue s’ajouter à la CSG, avec des parties déductibles des impôts, mais qu’il faut calculer soi-même au prix de règles de trois compliquées, parce que l’URSSAF est incapable de fournir son propre calcul. La même URSSAF, récemment, m’envoie deux lettres pour me dire que j’ai trop payé et que je devrai déduire ce trop payé de mon prochain versement, ce que je fais, en prenant bien soin de joindre une photocopie des lettres. Inévitablement, 10 jours plus tard, je reçois une missive recommandée m’enjoignant de payer sans délai ce qu’on m’avait demandé de déduire, en y ajoutant des pénalités de retard. Nouvelles lettres, coups de fil (« Tous nos conseillers sont en ligne, veuillez rappeler ultérieurement… »), une matinée de perdue pour régler le problème, sans aucune sorte d’excuse pour l’erreur commise. »

Même tabac avec le RSI (Régime Social des Indépendants) qui perdait ses dossiers, présentait des calculs erronés, s’y perdant dans ses propres procédures pendant que le bénéficiaire courait comme un rat de laboratoire dans les dédales d’une organisation plus soucieuse de fuir ses responsabilités que de suivre correctement ses adhérents. En plus du déport sur l’administré des tâches qui lui revenait à l’administration autrefois, l’invention des accueils téléphoniques automatiques est un petit coup de génie. Neuf fois sur dix, et après vous être bien énervé sur la gestion des arborescences que vous ne comprenez pas une fois sur deux, vous êtes renvoyé en touche. Rebelote… si vous n’avez pas fracassé votre combiné, de rage de vous être fait encore avoir… et en payant en plus ! On peut en rire mais la « phobie administrative », expression inventée par le député Thomas Thevenoud, a des fondements sérieux connus sous le terme de « débordement cognitif », en langage de tous les jours : Trop c’est trop ! (Et ça c’est le titre d’un de mes livres sur le sujet 😉

Face à ce nouvel « IKEA administratif » (faites le vous-même), une majorité des citoyens n’est pas armée pour résister aux difficultés, à la pression et à la complexité administrative. Le harcèlement administratif est une cause sérieuse et fréquente de l’abandon de certaines activités économiques où –pire – de leur entrée en clandestinité. De petits entrepreneurs réduisent leurs activités pour limiter la pression de la paperasse (Souvenez-vous le seuil du nombre des salariés). On décide de rester petit par crainte de la multiplication des actes administratifs et des risques de ne pas savoir s’en sortir. Parmi les exemples qui me viennent à l’esprit, il y a cette intervention de mon électricien datant d’il a quatre ans. Il a, en quelques instants, échangé mon radiateur électrique contre l’ancien en panne et rajouté une prise électrique. Son intervention a enclenché une liasse de demandes : l’attestation de fin des travaux puis une seconde demandée par Bercy (accompagnée de la notice d’explication pour la remplir). Le tout nécessitant une procédure d’aller-retour entre l’artisan et moi, le client, avec ensuite l’envoi de ce papier remplit par l’artisan au Ministère du Budget des comptes publics et – tenez-vous bien –de la Réforme de l’État (sic). Au fait vous ai-je dit le montant de la facture qui aura enclenché cette belle machinerie ? Non ? 300 euros principalement pour payer le radiateur ! Trois cents euros de chiffres d’affaires sur lesquels nous avons tous dépensé un temps inutile. Ne pensez-vous pas que cette procédure imposée par la bureaucratie française aurait pu n’être obligatoire que pour des sommes plus conséquentes !?

C’est la permanence de ce gymcana des lois sans cesse modifiées qui devient lassante autant pour le contribuable que pour les fonctionnaires.

Malgré les efforts réels de l’administration, l’ensemble de ces phénomènes constitue un stress social qui se répercute sur l’humeur des citoyens, engendre la morosité et le pessimisme ; « à quoi bon ! » vous rétorque-t-on !? La France reste un des pays les plus administrés au monde. Le World Economic Forum 2012 la classe au 129ème rang sur 144 en matière de complexité administrative. Toute erreur est sanctionnée, même si elle est le fait de ladite administration. Faire rectifier une erreur, corriger une injustice devient un casse-tête pour le citoyen. Les plus chanceux, rencontrent des fonctionnaires résistants qui, conscients de l’incapacité de leurs administrations à se réformer, se mouillent en oubliant ou en falsifiant volontairement des informations afin de rectifier le caractère dolosif d’une procédure mal fichue. Cette tyrannie du tiers-état administratif, qui tente de justifier son existence, est à l’origine d’un stress social que partagent – ce n’est pas le moins dommageable – les agents des différentes administrations, à la fois « esclaves et bourreaux » d’un système parfois inhumain.

* Voir le « Syndrome de Chronos » et « Du Mal travailler au mal vivre » (Dunod).
– « Faite le vous-même »
– Les Echos du19 février 2013
http://institutdeslibertes.org/letat-de-droit-mal-defendu
Pour en savoir plus : http://www.psychiatrissimo.com/test/

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A propos de l'auteur

Denis

Denis Ettighoffer, fana de science-fiction, auteur de « L’entreprise virtuelle », le livre qui l’a fait connaître en 1992 est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Ses contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels sont nombreuses. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Son parcours atypique aura forgé chez lui une pensée singulière. Son dernier livre, « Netbrain, planète numérique, les batailles des Nations savantes » (Dunod) a reçu le prix du livre du Club de l’Economie Numérique en 2008. Denis Ettighoffer un temps Membre correspondant de l’Académie de l’Intelligence économique collabore désormais avec l’équipe d’IDEFFIE (Développement de l’expertise française et francophone à l’international et en Europe ) .

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