Vos usines viennent de disparaître dans un cataclysme. Vos banques ne sont plus que cendres. Votre entreprise vient de faire faillite ou a été délocalisée sauvagement. Prenez une feuille blanche et dites moi ce que vous pouvez encore faire pour ne pas disparaître aussi !? Oui, n’allez pas plus loin dans votre lecture. Que pourriez-vous écrire sur cette feuille blanche ? intéro

La majorité des réactions de mes interlocuteurs sont la gêne et la perplexité. Certains sont carrément bloqués, tétanisés à l’idée de telles catastrophes. Puis, progressivement, les visages perplexes et assombris se détendent au fur et à mesure que je développe ce petit exercice pratique de concrétisation de ce qu’est la valeur immatérielle : leur valeur ! La maitrise d’une procédure litigieuse, d’un crédit scoring, d’un warrant, d’une chaîne de production, d’une procédure de gestion de commandes, d’une analyse de risque industriel, etc. Au fur et à mesure que mes interlocuteurs conçoivent toute la richesse de leurs compétences et de leurs savoirs, des trésors cachés dans leurs procédés brevetés, de leurs marques, l’atmosphère se détend. Pas pour tout le monde. Car il y a ceux, ils existent, qui n’ont pas réalisé que leur valeur ajoutée, leurs compétences, leurs expertises ne pèsent plus rien ou pas grand chose. Ceux là aussi comprennent ce qu’est la valeur immatérielle.

CataLa financiarisation des actifs immatériels des entreprises n’est pas encore usuelle malgré la multiplication des magazines spécialisés sur les stratégies de vente des licences. Lorsque je parle à mes interlocuteurs de la valorisation des biens immatériels, il y a souvent des regards d’incrédulité. Dieu merci, les exemples ne manquent pas qui me permettent d’éclairer les plus sceptiques. Prenez le succès de la Prius de Toyota, la voiture hybride devenue une star hollywoodienne. Toyota indique ne pas gagner d’argent avec ce modèle mais souligne que la vente à ses concurrents d’une partie des licences de ses 500 brevets lui permet d’équilibrer ses comptes. En réalité le bilan est bien plus flatteur, son caractère innovant vaut à la marque un formidable capital de notoriété que la société exploite à fond dans sa communication[1]. Dans le même ordre d’idées, des entreprises n’hésitent pas à acheter des actifs qui répondent à l’objectif d’une notoriété supplémentaire. En rachetant le groupe britannique GEC pour 1,47 milliards d’euros, l’équipementier suédois Ericsson s’est payé la marque Marconi, une légende.  Mais, paradoxalement, ce qui parle le plus à mes interlocuteurs sont les exemples qui font partie de leur vie familiale plus que professionnelle. Que j’affirme que la fortune de Cardin vient pour une grande partie des ventes de licence de sa marque leur parle moins que l’histoire des ventes des héros de BD ou de films qu’ils ont été voir en famille. Les personnages imaginés par Luc Besson pour Arthur et les Minimoys rapportent chaque année plusieurs millions d’euros à sa société. Les producteurs comptent désormais sur ces retombées indirectes dues à la vente des licences d’image des personnages qu’ils ont inventés  et qui représentent entre 5% et 15% de leurs revenus. Un cas loin d’être unique si l’on songe que le vente des droits dérivés (licences d’utilisation des personnages créés pour la série) des Stars Wars a rapporté plus d’argent que la distribution des films.  Les fabricants de jouets sont intéressés à donner ainsi une personnalité à leurs figurines, mais ils ne sont pas les seuls. Les produits dérivés touchent de nombreux accessoires aussi hétéroclites que des lunettes, des tasses, des foulards, pour lesquels les fabricants vont payer une dime à leurs créateurs.

Pour les entreprises le temps est venu de s’intéresser à la gestion des actifs immatériels comme l’ont découvert les dirigeants de la Société Eminence et Cacharel. Au milieu des années 85, la société de sous vêtements Eminence, 6,5millions d‟euros de chiffre d’affaires, bien implantée sur son marché, doit se redéployer et manque de fonds propres. Ses dirigeants découvriront lors de leurs négociations avec un groupe intéressé à les racheter que c’est la valeur de leur marque qui les intéresse, bien plus que leurs actifs corporels. Cette valeur à elle seule permettra à l’entreprise de financer sa réorganisation. De même, Jean Bousquet, le fondateur de la maison Cacharel, pourra financer le développement de son entreprise en utilisant la vente des licences de son parfum le plus connu « Anaïs ». Parfum CacharelCes deux exemples symbolisent la valeur immatérielle des marques au service de la notoriété des entreprises et de ses dirigeants. Dans le monde anglo-saxon, la notion comptable du goodwill ou « valeur globale » de l’entreprise est très présente dans le bilan de l’entreprise. Le goodwill représente les actifs corporels et incorporels de l’entreprise comprenant l’estimation actualisée des valeurs des marques, des brevets et de sa notoriété. En France, cette valorisation réactualisée annuellement du fond de commerce reste encore exceptionnelle pour beaucoup. En dehors de quelques grands groupes, la valorisation des brevets, des marques, n’est pas usuelle et n’apparaît pas dans les comptes de l’entreprise. Une erreur, une inattention, qui peuvent coûter cher. Estimer la valeur des actifs immatériels de son entreprise doit devenir aussi naturel que d’estimer la valeur des produits semi-ouvrés de celle-ci. Si un dirigeant sur deux n’a aucune idée de la valeur réelle de son entreprise, il se fera racheter par des financiers plus avisés. L’évaluation des droits de propriété industrielle, la démarche pour retrouver et valoriser les pépites cachées d’une entreprise, ne peuvent plus être ignorées sauf à la mettre en danger. L’OPA de Mittal sur Arcelor était l’occasion pour le groupe indien de mettre la main sur des fleurons technologiques développés par le groupe qui détenait près d’un millier de familles de brevets. Les brevets d’Arcelor portaient sur des alliages spéciaux, des procédés de fabrication et des équipements de production. A l’origine, les enjeux de la Propriété Industrielle et de l’innovation ont-ils été correctement pris en compte par Arcelor, ce qui aurait pu modifier leur haut de bilan et donc leur valeur capitalistique? On ne le saura jamais officiellement compte tenu de l’absence de prise de position officielle sur ce sujet pourtant critique[2].  De plus en plus d’entreprises, des plus petites au plus grosses se sont lancées dans la commercialisation de leurs innovations. Xerox, IBM, pour qui les gains de la vente de ses licences frôlent le milliard de dollars soit plus de 20% de son résultat net, mais aussi des PME comme l’Outil Malin qui finance désormais ses innovations avec les revenus des licences cédées. D’autres ont bien réussi la valorisation de leur R&D. Goretex suite à une collaboration fructueuse avec la NASA est devenu avec ses brevets un fournisseur majeur dans l’équipement d’un bloc opératoire grâce aux propriétés vasculaires de leurs fibres. La percée scientifique de Goretex lui a ouvert des diversifications fructueuses et l’occasion de faire des affaires grâce à la cession de ses licences. La Propriété Intellectuelle est devenue un véritable patrimoine et un centre de profit dont les chefs d’entreprises doivent avoir conscience. Désormais la différence entre deux firmes se fait sur la qualité de leurs innovations et de leurs expertises. Prenez une feuille blanche. Quelles sont les vôtres !? Tiens, je viens d’inventer la VAE d’entreprise[3] ;-))


[1] D’où le sentiment d’une énorme catastrophe pour le management de la firme au Japon suite à la découverte de nombreux problèmes qualités sur des modèles qui ont du être rappelés dans les concessions de la marque.

[2] « Ces Entreprises qui sous valorisent leur innovation » Tribune du 23.3.06 www.ettighoffer.com/fr/pressbook/pressbook10.html

[3] VAE (Valorisation des acquis d’expérience)

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A propos de l'auteur

Denis

Denis Ettighoffer, fana de science-fiction, auteur de « L’entreprise virtuelle », le livre qui l’a fait connaître en 1992 est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Ses contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels sont nombreuses. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Son parcours atypique aura forgé chez lui une pensée singulière. Son dernier livre, « Netbrain, planète numérique, les batailles des Nations savantes » (Dunod) a reçu le prix du livre du Club de l’Economie Numérique en 2008. Denis Ettighoffer un temps Membre correspondant de l’Académie de l’Intelligence économique collabore désormais avec l’équipe d’IDEFFIE (Développement de l’expertise française et francophone à l’international et en Europe ) .

1 commentaire

  1. Merci pour cette article simple et frappant (ca va souvent ensemble).
    Cela me rappelle une autre question simple à poser « inventez votre principal concurrent (celui qui vous fera disparaitre) »… point de départ pour mettre en place une veille économique.

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