En novembre 2012, le gouvernement, conscient des multiples dérapages et des insuffisances du plan du THD créait une « Mission THD ». Celle-ci était chargée de proposer une stratégie et un schéma réactualisé de sa mise en œuvre sur la base des contraintes identifiées par les différents acteurs concernés. Les orientations et les solutions proposées par ce rapport laissent l’impression d’être un objet improbable, bourré de généralités et destiné à satisfaire les responsables des collectivités territoriales confrontées à des chantiers et une ingénierie qu’elles maitrisent difficilement.
Ne tournons pas autour du pot. Sa lecture n’est pas faite pour rassurer. Indépendamment d’une rédaction lyrique sur l’importance de doter la France de la fibre, au fil des pages on ne peut manquer de s’interroger sur ses nombreuses contradictions, ses zones d’ombres et l’annonce, pas très rassurante, d’une nouvelle usine à gaz. Parmi les orientations reprises par la Mission THD, plutôt que d’encourager et de soutenir les investissements, on retrouve le désir de l’administration d’encadrer les opérateurs privés qui investissent dans le câble. Cela laisse à penser que les technocrates du gouvernement semblent vouloir privilégier le versant public du déploiement de la fibre en accordant peu d’importance au rôle du secteur privé, le poids des marchés et, pire encore, en ignorant les services en ligne qui justifieront l’essentiel du retour sur investissement pour tous les acteurs, publics ou privés.
Le rapport de la mission THD s’intéresse ainsi à la cohabitation entre les réseaux (fibre ou cuivre et autres) et tend à vouloir sanctuariser la fibre comme le seul réseau devant être privilégié. Dans ses attendus, il considère que « la coexistence durable de deux réseaux en parallèle de bout en bout n’est pas un modèle pertinent dans la durée pour des territoires peu densément peuplés ». Et de proposer quelques lignes plus loin de discuter avec les opérateurs historiques « des modalités d’extinction du réseau cuivre ». Même si la disparition du cuivre est envisageable, ce n’est pas, ce ne devrait pas être le sujet essentiel, le plus important, du plan THD. Il faudra encore au moins deux décennies pour fibrer correctement la France. Les évolutions naturelles de la demande, les spécificités locales et les contraintes économiques feront bouger l’architecture des réseaux sans qu’il soit nécessaire que la puissance publique y mette son nez. Il serait désolant de voir s’affirmer une vision dogmatique du fibrage français au détriment de solutions alternatives qui fonctionnent très bien et sur lesquels des milliards d’euros ont été déjà investis. D’autant que, si d’entrée, il est dit que la plan câble doit aboutir à un réseau qui atteint systématiquement l’abonné final ; on admet plus loin (heureusement !) que pour des territoires particuliers des solutions techniques alternatives sont souhaitables, dont notamment des solutions de type ADSL2 s’appuyant sur des réseaux cuivre. Heureusement encore, car il y a de fortes chances pour que ces solutions alternatives (donc les prometteuses applications du F.Fast) soient très, très fréquemment, utilisées et pour longtemps, notamment pour les « derniers mètres » ! Réduire la fracture numérique, c’est d’abord donner satisfaction au client final en lui offrant un débit qui lui va, même si celui-ci n’atteint pas 100 Mbits/s ! Ce qui évitera de nombreux surcoûts et des délais d’attente inadmissibles. Attente maintenant due aux hésitations de l’Arcep qui n’a toujours pas autorisé le déploiement d’ADSL2 en France. Doit-on y voir la patte du responsable de la mission THD « tout câble », Antoine Darodes de Tailly, ancien directeur de l’Arcep !?
Dans ce rapport pas très convainquant, on cherche vainement une remarque sur une des chevilles ouvrières du réseau : les répéteurs et les commutateurs. Ils coûtent chers, nécessitent un déploiement spécifique adapté à la nature et à l’architecture du réseau afin de limiter les erreurs de transit, l’engorgement des boucles et le blocage des communications. Enfin, ils nécessitent aussi une exploitation et une maintenance par des équipes spécialisées qui sont chez les opérateurs techniques privés. Il est vrai que dans ce rapport les opérateurs ne semblent pas avoir grand-chose à dire sur leur stratégie face à la puissance publique qui visiblement compte les « corseter » grâce à des subventions issues des fonds d’épargne.
Les dits opérateurs privés sont incités à déployer et à investir dans les infrastructures réseaux, mais on se garde de dire comment, sinon que certaines « initiatives privées » ont déjà pris des places dans les meilleures plaques. Ce qui n’est pas un scoop. Donc, « en dehors des initiatives privées », la question est de savoir comment cela fonctionnera pour celles des plaques apparemment les moins lucratives ? On attendra la réponse … qui sera d’abord « par un encadrement plus conséquent du déploiement ». Le partenariat PP (Privé/Public) posant de plus en plus de problèmes notamment pour les projets réseaux de petite taille ; ces derniers seront soutenus par des subventions publiques pudiquement désignées sous le terme de « soutien financier aux réseaux fibre ». Lorsque le rapport aborde l’idée d’un « programme de soutien national sous la forme d’une prime aux projets de grande envergure », c’est à dire couvrant les territoires les plus vastes (ce que l’on peut comprendre car il permet une meilleure péréquation économique), je ne peux m’empêcher de penser à la stratégie qui avait été suivie par l’EDF dans les années 40 et 50 pour l’électrification de la France. Elle a consisté à faire payer par ses futurs clients des avances qui leur étaient ensuite rétrocédées sur sa facture de consommation. Plutôt que des subventions à fonds perdus, ne pourrait-on envisager une démarche sensiblement identique entre les collectivités et les opérateurs ?
Ce rapport qui est largement commenté par la presse, m’inquiète. Il m’inquiète parce qu’en soulignant tout ce qu’il faudrait faire, tout ce qu’il manque en matière de logistique d’accompagnement, il montre en creux tout ce qui n’a pas été fait depuis des années. Il m’inquiète parce que là où il faudrait réduire les intermédiations, donner plus de présence aux marchés et aux investissements privés, il propose, contrairement à son souci affiché d’efficacité, une multiplication d’organisations et de comités Théodule qui seront autant d’occasions de constituer des freins opérationnels. SDTAN, CLAN, ARCEP, Mission THD, CCRANT, CPSD, Préfet, DGCIUS, DATAR, CETEO, sans compter la création d’un observatoire national du déploiement, d’un comité d’harmonisation technique, … j’arrête là ; il y en a assez pour créer une armée d’intervenants inapte à l’efficacité où se diluera toute responsabilité opérationnelle. Rien d’étonnant à ce que le classement 2013 du World Economic Forum classe la France à la 126eme position sur 144 en matière de complexité administrative. Voilà pourquoi je suis si sévère avec ce rapport. Il est à craindre que l’ingénierie du plan THD ne soit affectée par la multiplication des intervenants. Un consortium de responsables nationaux avec un vrai responsable à sa tête et une représentation constituée d’un « pool clients » intéressés à l’implémentation locale, serait amplement suffisant. Cette option, qui limiterait les coûts de coordination ainsi que les risques de cacophonie et les pertes de temps dues à la multiplication d’acteurs incompétents, me parait plus appropriée.
Autre sujet chaud l’embrouillamini persistant entre l’offre technique et l’offre de téléservices. Les directives européennes de 1990 sur la suppression et l’interdiction des monopoles en matière de télécommunications ont eu pour conséquence de faciliter la liberté d’établissement, ce qui arrangeait les pouvoirs publics qui passaient la patate chaude aux collectivités territoriales les plus audacieuses (ou imprudentes !) désireuses de devenir opérateur technique local. En réalité, un faux nez car l’affaire était prise en main par des sous traitants dont c’était le métier. De plus, comme l’émiettement des couvertures et des projets en réduit l’assiette économique – et donc la rentabilité – les mêmes directives autorisent les subventions publiques « afin de corriger les défaillances du marché » : nous avons là une machine infernale qui réclame de plus en plus de fonds publics.
En 2009, conscientes du problème que posaient les disparités technico-économiques des territoires, les bureaucrates de Bruxelles ont décidé le découpage des couvertures territoriales afin de « contrôler » les situations de concurrence dans les zones à fibrer et identifier celles qui pouvaient être soutenues par des subventions ou non, ou partiellement… Là c’est carrément le carnaval. Tout le monde peut avancer masqué. Mais peu importe. L’objectif étant de fibrer et d’assurer au pays une couverture efficace et favorable au déploiement de téléservices – dont, encore une fois, ont ne dit mot dans ce rapport – alors qu’il est une équation essentielle du plan dans une économie moderne. En conclusion, le plan câble dans la présentation de la mission THD 2013 laisse le sentiment d’une vision univoque « tout fibré », mobilisant une armée mexicaine, ne laissant pas d’espace aux initiatives privées en contrepartie d’un renforcement du financement public… pas vraiment disponible ! Ce qui en toute logique va contribuer à augmenter l’endettement des organismes publics puisque, rappelons-le, il n’est pas dit un mot sur le retour sur investissement attendu, que dis-je… indispensable !