Depuis les origines les brevets d’associations de molécules ont caractérisé l’invention des laboratoires de chimie, pharmaceutiques et autres. Les récentes polémiques sur le bien-fondé de breveter les associations des molécules d’ADN pour justifier les importants investissements consentis par les laboratoires de recherches en illustrent les enjeux financiers considérables. Les laboratoires privés souhaitent ainsi pouvoir financer des inventions dans de nouveaux médicaments de synthèse en toute propriété des séries de combinaisons identifiées. L’affaire est loin d’être close parce qu’elle concerne un phénomène récent qui va prendre une ampleur considérable: pouvoir breveter « les combinaisons » de moyens connus.

La montée en puissance des revendications en matière de droit de propriété industrielle sur des combinaisons de moyens, de structures, d’organisations, est un phénomène nouveau. La compétition et la performance pour créer de la valeur s’établissent sur la capacité à inventer une combinaison originale de la chaîne de la valeur plus compétitive que d’autres : On se bat à coups de modèles organisationnels. Cette tendance a déjà poussé Amazon.com a déposer un brevet pour protéger son dispositif d’affiliation qui représente un quart des ventes par Internet selon Evan Schwartz, auteur de « Digital Darwinism », au grand dam de la communauté qui a immédiatement ouvert un espace de protestation « Pas de brevet sur le Web » (Nowebpatents.org). Le développement de la protection des procédés et des combinaisons de chaînes de la valeur qui constituent un modèle économique original risque pourtant de s’affirmer dans les années à venir. La création de valeur par le travail sur la combinaison des organisations reste encore très nouveau (voir Mét@organisations, nouveaux modèles de création de valeur). L’innovation organisationnelle prend tellement d’importance que les marchés financiers ne manquent jamais de saluer toute initiative intelligente. L’introduction en Bourse d’Ariba, en juin 1999, parti de 23 dollars pour grimper en quelques heures à 90 dollars, soit près de 300% de hausse, illustre l’importance qu’accorde le milieu financier aux modèles économiques qui lui paraissent les plus astucieux, les plus intéressants. Au lieu de facturer ses licences logiciels en fonction de l’importance du parc utilisateur, Ariba, société californienne de logiciels, fixe son prix sur la base de la consommation réelle. Cette jeune société est valorisée à la mi-1999 à trois milliards de dollars pour un chiffre d’affaires de 16 millions, pour la seule raison que ses dirigeants ont su innover dans un modèle économique et organisationnel considéré comme original. Un modèle qui a pour première caractéristique de s’appuyer sur la Netéconomie, sur la virtualisation des activités.

Désormais, la circulation des capitaux sanctionne autant la qualité des organisations que la qualité des dirigeants. Les modèles économiques porteurs, fortement valorisés, associent l’application des technologies de l’information et de la communication à des innovations organisationnelles. En 1999, les performances réalisées par les introductions au Nasdaq illustrent bien cette nouvelle attitude. La Bourse sanctionne positivement l’avènement de ces entreprises parce qu’elles s’appuient sur les réseaux en innovant dans de nouveaux modèles organisationnels et économiques. Créer de la valeur en jouant sur les structures des entreprises est une donnée récente. Jean Estin, ancien président pour l’Europe de Mercer Management Consulting, conseil en stratégie, dans un article « À quoi donc servent les fusions ?« , met le doigt sur le fait que les activités filières comme la confection n’arrivent pas à créer de la valeur en se concentrant mais en rénovant leur chaîne de la valeur. Dans ce secteur comme dans bien d’autres, c’est l’appel important aux réseaux informatiques qui rend possible la recombinaison des maillons concernés. Une équipe de McKinsey à New York et Boston, qui détaille les améliorations importantes des performances dues à ce type de restructurations, conforte le sentiment que l’innovation organisationnelle reste un moteur majeur de la création de valeur. Nul doute que certaines de ces innovations feront l’objet de protection destinée à entraver la concurrence, car c’est bien cela qu’Amazon a tenté avec son dépôt de brevet.

La Lettre d’Eurotechnopolis Institut Nº 16 – Mai 2000 Denis Ettighoffer

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A propos de l'auteur

Denis

Denis Ettighoffer, fana de science-fiction, auteur de « L’entreprise virtuelle », le livre qui l’a fait connaître en 1992 est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Ses contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels sont nombreuses. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Son parcours atypique aura forgé chez lui une pensée singulière. Son dernier livre, « Netbrain, planète numérique, les batailles des Nations savantes » (Dunod) a reçu le prix du livre du Club de l’Economie Numérique en 2008. Denis Ettighoffer un temps Membre correspondant de l’Académie de l’Intelligence économique collabore désormais avec l’équipe d’IDEFFIE (Développement de l’expertise française et francophone à l’international et en Europe ) .

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