On attribue à l’être humain des caractéristiques qui lui sont propres, que ne possèdent pas les autres êtres vivants, ni les machines, notamment la faculté particulièrement développée de construire des images abstraites du monde réel qui l’entoure et d’organiser son action par le jeu de ces images. Louis Couffignal 1902/ 1966

Le court texte ci-dessus, mis en avant-propos de l’Entreprise Virtuelle et les nouveaux modes de travail[1] », n’a pas pris une ride. La numérisation du monde permet de mieux le comprendre mais aussi de le fantasmer, de le modifier. Elle permet la tromperie mais aussi l’enchantement. Beaucoup s’inquiète de la puissance et de l’irruption des IA dans nos vies. Je m’inquiète quant à moi de leurs applications dans la manipulation des foules et des individus. Non sans réticences les hommes vont devoir « déléguer » bien des choses aux intelligences artificielles. Peu se doutent de ce qui les attend. Pourtant depuis longtemps les hommes ont accepté l’aide de machines ou d’artefacts matériels et immatériels pour soulager leur peine, leur mémoire, libérer leur temps, se faciliter la vie. Les hommes ne s’en plaignaient pas. Maintenant qu’ils ont de plus en plus d’ordinateurs et d’applications informatiques, ils ne cessent de s’en plaindre. Pourquoi ? Parce que la machine, les infotechnos[2] commencent à faire plus que les aider, elles les dépassent !

Pour comprendre ce qui nous attend il suffit, avec un peu d’imagination, de penser que la connaissance, les savoirs, forment un univers en croissance permanente. Cet univers immatériel, sorte de cosmos qui s’étire à l’infini au fur et à mesure qu’il grandit, présente autant de défis et de frontières nouvelles à la connaissance. Cette sphère imaginaire, en grossissant, se heurte à une infinité de savoirs à découvrir, à des énigmes qui interrogent l’humanité. Plus elle croît, plus les défis sont nombreux, difficiles à sonder, à identifier et donc à comprendre. On peut craindre l’inconnu, ce ne que font pas les IA, indifférentes aux émotions et capables de « matcher » le problème et les expertises en mesure de le résoudre. Ces expertises sont soit le fait d’individus savants, soit le fait d’algorithmes puissants dont les IA disposent.

Le développement des IA s’accompagne de projections fantasmées de leur supposé comportement. Certains s’accordent pour considérer que les IA sont moins sujettes à des erreurs que l’homme, d’autres leur prêtent des vertus sorte de contes de fées informatiques parfois amis de l’homme, parfois sorcières malveillantes qui le tromperaient. La littérature donne corps à ces fantasmes. De la même façon que les jeunes enfants s’inventent un monde à eux, de la même façon qu’un ado invente sa vie avec ses amis, de la même façon qu’un auteur découvre que chacun de ses lecteurs a lu un livre différent de celui qu’il a écrit, tous, oui tous, du plus bas au plus haut de l’échelle sociale, nous nous mentons sur nous-même autant que nous mentons aux autres en nous réinventant. Tous nous modifions, tordons en permanence les réalités du monde. Et voilà que ces IA, ces machines de l’immatériel, des réalités virtuelles viennent à la rescousse. Les infotechnos ont augmenté de façon spectaculaire les capacités de nous tromper. Désormais la numérisation leur donne un immense pouvoir. Modifier les images, les embellir, travestir le réel, faire plaisir ou faire souffrir. Incarnant les dangers des réalités virtuelles, le « deepfake » vient de s’installer dans les réseaux ! Il pourrait devenir sous peu le prochain fléau de notre santé mentale et sans doute à l’origine de troubles à l’ordre public.

Avec les deepFake faudra-t-il douter de tout ce que l’on voit sur un écran ? Ce sera vite insupportable. En attendant, on s’amuse avec un avatar de Tom Cruise plus vrai que nature. Ce n’est pas Tom Cruise, mais un logiciel qui transforme en temps réel le visage de quelqu’un d’autre ! Un utilisateur agite la Toile avec des vidéos pornographiques de célébrités qui en font les frais[3]. Les escrocs vont se régaler en se faisant passer pour quelqu’un d’autre, avec l’usurpation d’identité. C’est effrayant ! On peut faire accuser n’importe qui de n’importe quoi de cette façon. Des pays commencent à s’en inquiéter et à l’interdire comme l’Etat de Virginie aux USA, l’Etat de la Virginie, tout comme YouTube qui bloque les applications de reconnaissance des visages. En France ? On reste bouche bée ! Les Français peuvent en voir les effets sur la première chaîne française, après les informations, avec un comique qui n’en est pas un, qui fait parler des politiques ou des personnalités pour leur faire dire des absurdités. Que lesdites personnalités ne réagissent pas à cette dérive en dit long sur leur ignorance des dangers de cette application. « Se retrouver poursuivis par la justice à cause d’un mec qui se fait passer pour toi, bonjour le souci ! »

La question devient alors de savoir comment combattre ces « drôles de virus » qui s’attaquent souvent à l’intime. La réponse, c’est de faire en sorte que les IA deviennent des vigilants, des policiers du Net, des traqueurs de « menteries », des armes contre les tentatives de nous abuser. En d’autres termes nous devons comprendre que seules les IA peuvent surveiller les IA et que la traque aux « fakes » est désormais ouverte aux métamoteurs spécialisés contre la délinquance.

[1] Odile Jacob, 1992

[2] Terme que j’utilise depuis des années pour parler des Technologies de l’Information et de la Communication,

[3]https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/aux-etats-unis-la-virginie-modifie-une-loi-pour-punir-les-deepfakes-pornographiques-20190702

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A propos de l'auteur

Denis

Denis Ettighoffer, fana de science-fiction, auteur de « L’entreprise virtuelle », le livre qui l’a fait connaître en 1992 est un des spécialistes français reconnus dans l’étude projective de l’impact des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Ses contributions à la réflexion sur les évolutions des sociétés, des modèles économiques et organisationnels sont nombreuses. Sa spécificité réside dans sa capacité à analyser le présent, pour en extraire les orientations économiques et sociétales stratégiques pour les décennies à venir. Son parcours atypique aura forgé chez lui une pensée singulière. Son dernier livre, « Netbrain, planète numérique, les batailles des Nations savantes » (Dunod) a reçu le prix du livre du Club de l’Economie Numérique en 2008. Denis Ettighoffer un temps Membre correspondant de l’Académie de l’Intelligence économique collabore désormais avec l’équipe d’IDEFFIE (Développement de l’expertise française et francophone à l’international et en Europe ) .

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